Acte I - Scène VI



Victoire, Maxime

Maxime(sur son tabouret, lisant.)
L'amour est une émotion de l'âme causée par le mouvement des esprits animaux qui l'invite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables. (Avec conviction.)
Comme c'est ça !

Victoire(s'accoudant sur la table.)
Eh bien ! monsieur Maxime ?

Maxime
Mademoiselle ?

Victoire
Qu'est-ce que vous faites là ?

Maxime
J'étudie l'amour, Mademoiselle !…

Victoire(gouailleuse.)
Allons donc !… dans cette position-là ? (À part.)
Il est gentil, tout de même, ce petit ! (S'approchant de lui.)
Si vous voulez, monsieur Maxime, je vous ferais bien répéter…

Maxime
Comment, Mademoiselle, vous avez étudié l'amour ?

Victoire
(très naturellement.)
Dame ! comme tout le monde.

Maxime
Dans Descartes ?

Victoire
Non !… Dans du marc de café !

Maxime
Je crois, Mademoiselle, que vous vous méprenez !

Victoire
Alors, dites… vous ne voulez pas que je vous fasse répéter ?
(Elle lui caresse le genou.)

Maxime
(impassible.)
Mademoiselle… vous me chatouillez.

Victoire
Cela vous est désagréable ?

Maxime
Je ne dis pas ça, mais vous me chatouillez ! (À part.)
Qu'est-ce qu'elle a donc toujours après moi, cette femme ?

Victoire
Oh ! c'est pas gentil de vous éloigner parce que je suis là !

Maxime
(très sérieux.)
Je ne m'éloigne pas !… je travaille !… Je ne peux pas étudier mon amour, si j'ai tout le temps une femme à côté de moi !
(Il s'asseoit sur le canapé.)

Victoire
(riant.)
Ah !… Eh bien, c'est la première fois que j'entends dire ça !

Maxime
(lisant.)
On distingue l'amour de bienveillance et l'amour de concupiscence. Les passions qu'un amant a pour sa maîtresse et un bon père pour ses enfants sont certainement bien différentes entre elles. Toutefois, en ce qu'elles participent de l'amour, elles sont semblables ! Mais…(Il se lève et va s'asseoir à l'autre extrémité du canapé.)
Mais le premier n'a d'amour que pour la possession de l'objet auquel se rapporte sa passion et n'en a pas pour l'objet même ? (Très sérieusement.)
C'est agréable, ce que vous me faites là !…

Victoire
(qui le caresse.)
Vous trouvez, monsieur Maxime ?

Maxime
Oui ! (Continuant sa lecture.)
Au lieu que l'amour qu'un père a pour ses enfants est si pur qu'il ne désire rien avoir d'eux et ne veut pas les posséder autrement qu'il fait, ni être joint à eux autrement qu'il l'est déjà.

Victoire
C'est heureux !

Maxime
(continuant.)
Mais, les considérant comme d'autres soi-même, il recherche leur bien comme le sien propre.

Victoire
(lui caressant les cheveux.)
Oh ! le pitit ! pitit ! pitit !

Maxime
Je vous en prie, Mademoiselle, grattez, mais ne parlez pas !

Victoire
Oui, monsieur Maxime. (S'accoudant au canapé.)
On ne vous a jamais dit que vous étiez joli garçon, monsieur Maxime ?

Maxime
Moi ?… Mais je ne sais pas !… Si, une fois !…

Victoire
Ah !

Maxime
Oui, le photographe !… Oh ! je lui commandais une douzaine d'épreuves… Il m'a dit, Vous êtes si joli garçon, vous devriez en prendre trois douzaines !… Alors, je les ai prises.

Victoire
Ah ! oui, mais ça, ça n'est pas une femme !
(Elle se remet à lui caresser les cheveux.)

Maxime
Non ! C'était un commerçant… (Il reprend sa lecture.)
Mais, les considérant comme d'autres soi-même, il recherche leur bien comme le sien propre.
Il s'étonne de ce que Victoire ne lui caresse plus les cheveux.

Victoire
(riant.)
Ah ! ah !

Maxime(reprenant.)
Il recherche leur bien comme le sien propre… (Tournant la tête.)
ou même avec plus de soin parce que se représentant que lui et eux font un tout.

Victoire
(comme si elle ne comprenait pas.)
Qu'est-ce que vous avez, monsieur Maxime ?

Maxime
Rien !… C'est pour, si vous vouliez ?…

Victoire
Oui !… Eh bien, non ! Demandez donc à Descartes !
(Elle donne une tape sur le livre.)

Maxime
(sur le canapé.)
Oh ! Mademoiselle, il est muet sur ce chapitre !

Victoire
Eh bien, alors, fermez donc, votre livre ! (Elle le lui ferme dans les mains.)
Est-ce qu'un jeune homme doit apprendre l'amour dans un livre !… C'est comme les gens qui apprennent à nager sur un pliant !… Ils ne sont bons à rien quand on les fiche à l'eau !… Allons, posez-moi ce bouquin-là !…
(Elle le lui prend et s'assied à côté de lui.)

Maxime
Mais qu'est-ce qu'elle a ?

Victoire
(le prenant par les épaules.)
Et puis, regardez-moi ça !… Est-ce que vous devriez être fagoté comme ça ! (Elle lui arrange ses vêtements.)
C'est comme ces vilaines lunettes !… (Elle les lui enlève.)
Est-ce que vous ne voyez pas aussi bien comme ça ?

Maxime
Si !… Je vois même mieux !

Victoire
(passant derrière le canapé.)
Et puis, qu'est-ce que c'est que cette coiffure ?… Est-il permis, quand la nature vous a donné du physique, de s'enlaidir comme ça !
(Elle lui arrange les cheveux sur le front.)

Maxime
(les yeux fermés.)
Non, vraiment ! c'est agréable ce que vous me faites là.

Victoire
(le serrant sur sa poitrine.)
Ouh ! le pitit ! pitit ! pitit !

Maxime
On est bien, là-dessus !

Victoire
Mais dame ! (À part.)
Allons donc !… (Lui montrant la glace.)
Tenez ! mais regardez-vous donc dans la glace ! Est-ce que vous n'êtes pas mieux comme ça ?

Maxime
(se regardant.)
C'est vrai !… Positivement, je suis mieux !

Victoire
Eh ! parbleu !

Maxime(remettant ses lunettes)
et rabattant ses cheveux. Il n'y a pas à dire, je suis beaucoup mieux. (Reprenant sa lecture.)
"Ou même avec plus de soin, parce que se représentant que lui et eux font un tout. "

Victoire
(laissant retomber ses bras de découragement.)
Oh !

Maxime
(continuant.)
… Il préfère souvent leurs intérêts aux siens !…

Victoire
(sèchement.)
Monsieur Maxime !

Maxime
Au revoir, Mademoiselle !

Victoire
Au revoir !

Maxime
Mademoiselle ?

Victoire
(sortant par la droite.)
Non ! Ce n'est pas possible ! Il a du sang de navet !

Maxime(lisant.)
L'affection que les gens d'honneur… (Bruit dans la coulisse ; il se bouche les oreilles pour reprendre sa lecture.)
L'affection que les gens d'honneur ont pour leurs amis est de cette nature…

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