Acte II - Scène VIII



Les Mêmes, Mathieu et ses filles

Mathieu
(paraissant.)
Allons, venez, mes enfants, venez !…

Les petites
Voilà, papa, voilà !

Mathieu
(avec volubilité.)
Eh ! bien, le garçon ! Il n'y a donc pas de garçon ici ! Je n'ai jamais vu un hôtel comme ça !… on entre comme dans un moulin ! Si c'est comme ça qu'on est gardé ! Enfin, nous voilà déjà au premier, nous n'avons rencontré personne. Si nous étions des voleurs, des escarpes, des assassins, des cambrioleurs… nous pourrions piller, dévaliser, chambarder, saccager la maison… et, ni vu ni connu ! À quoi sert donc leur timbre avertisseur ?

Violette
Oh ! papa, on voit bien qu'il ne pleut plus !

Mathieu
C'est égal, je ne sais pas pourquoi Pinglet nous a recommandé cet hôtel… car il n'a rien de bien engageant ! Il est tard, nous y passerons la nuit… mais, m'est avis qu'il est inutile de faire monter nos malles, demain nous déménagerons !

Marguerite
Oh ! oui, j'aime mieux un hôtel chic !

Les petites
(successivement.)
Moi aussi ! Moi aussi ! Moi aussi !

Marcelle
(regardant bouillir l'eau, à Boulot.)
C'est bien, laissez-moi ! Maintenant, allez préparer la boule d'eau chaude.

Boulot
Bien, madame. (Sur le palier, à lui-même.)
Elle est vraiment gentille, la dame au monsieur malade !

Les Mathieu
Ah ! le garçon !

Boulot
Oh ! là, là ! qu'est-ce que c'est que ça ! C'est une pension ?

Mathieu
Dites-moi, garçon, nous venons de la part de monsieur Pinglet…

Boulot
De monsieur Pinglet ?… Ah ! parfaitement !… (À part.)
Je ne connais pas du tout, mais ça ne fait rien !

Mathieu
Mon ami, il me faudrait des chambres pour mes filles et pour moi !

Boulot(à part.)
Ses filles ! (Haut.)
C'est vos filles ? (À part.)
Il n'y a que les lapins pour en avoir tant que ça !

Mathieu
Eh ! bien, voyons, qu'est-ce que vous pouvez nous donner ?

Boulot
regardant le cadre où sont les clefs. Dame ! Monsieur, je n'aurai jamais assez de chambres pour… (À part.)
Oh ! quelle idée !… la chambre hantée… On ne peut jamais arriver à la louer. (Haut.)
Eh ! bien, monsieur, si vous n'êtes pas trop exigeant… j'ai peut-être quelque chose pour vous, en attendant !

Mathieu
Eh ! bien, qu'est-ce que vous voulez !… Montrez-moi ce quelque chose !

Boulot(un bougeoir allumé, montrant le 11. )
C'est ici, monsieur. (Introduisant.)
Tenez, monsieur, c'est cette grande chambre-là !

Mathieu
Mais c'est un dortoir !

Boulot
Nous n'avons pas autre chose, monsieur. Ces demoiselles sont quatre… il y a justement cinq lits.

Mathieu
Mais je ne peux pas coucher dans la même chambre que mes filles !…

Boulot
Oh ! monsieur, en vous couchant d'abord et en fermant les rideaux quand ces demoiselles se couchent… Il y a justement deux cabinets de toilette.
(Il les fait visiter.)

Mathieu
Qu'est-ce que vous voulez, garçon, s'il n'y a que ça !… nécessité n'a pas de loi. À l'hôtel comme à l'hôtel !
(il prend le bougeoir de Boulot.)

Boulot
Pardon, monsieur !
(Il l'échange rapidement avec un du palier.)

Mathieu
Et qu'est-ce que ça nous coûtera, votre dortoir ?

Boulot
Oh ! monsieur, en raison des circonstances, parce que vous êtes envoyé par monsieur… chose, ça vous coûtera sept francs par jour, tout compris.

Mathieu
C'est assez raisonnable !

Marcelle
(sortant du cabinet de toilette.)
Ah ! çà ! qu'est-ce que fait donc Pinglet !…

Mathieu
(à Boulot.)
Eh ! bien, c'est bien, garçon ! Nous prenons cette chambre !…
(Il pose son bougeoir sur la boîte à cigares de Paillardin.)

Boulot
Bien, monsieur ! Bonsoir, monsieur ! Bonsoir, mesdemoiselles !

Les petites
Bonsoir, garçon !
(Boulot revient sur le palier.)

Marcelle(à gauche.)
Ce n'est pas possible ! Il est malade !… Je commence à être inquiète !
(Elle se dirige vers la porte du palier.)

Mathieu
(à droite.)
Mais il me faut une bougie pour mes filles !
(Il se dirige vers la porte du palier.)

Marcelle
(pénétrant sur la palier, au garçon.)
Ah ! dites-moi, garçon !

Mathieu
(même jeu.)
Ah ! dites-moi, garçon !

Marcelle
(se détournant.)
Monsieur Mathieu !

Mathieu
(tournant autour de Marcelle.)
Eh ! mais ! je ne me trompe pas ! Madame Paillardin !

Marcelle
(tournant le dos à Mathieu.)
Non ! Non !… Oui ! en effet !…

Mathieu
… Dont j'ai eu le plaisir de faire la connaissance chez notre ami commun : monsieur Pinglet !…
(À droite, les petites Mathieu se mettent à leur aise.)

Marcelle
(troublée.)
Le… le plaisir est pour moi… croyez-le bien !

Boulot
(surpris.)
Tiens ! ils se connaissent !

Mathieu
Ah ! quelle charmante surprise ! (Appelant ses filles.)
Mes enfants !

Marcelle
(voulant le retenir.)
Monsieur, je vous prie !…

Mathieu
Mais si !… Mes enfants, arrivez donc ! Madame Paillardin ! Madame Paillardin !…

Marcelle
Ah ! mon Dieu ! il crie mon nom !

Boulot
Elle s'appelle madame Paillardin.
(Il entre à gauche, voir si le thé bout.)

Les petites
(avec joie.)
Madame Paillardin !… Ah ! madame, quelle charmante surprise !… C'est madame Paillardin !

Marcelle
(à part.)
Les petites !… Il ne manquait plus que ça !… Elle les salue avec embarras.

Boulot
(sur la porte.)
Madame Paillardin, votre thé bout !

Marcelle
(à part.)
Madame Paillardin ! Voilà ! Il sait mon nom.(Troublée.)
Mon thé ! Bien merci !

Mathieu
Votre thé ?… Comment, madame… vous habitez ici ?

Marcelle
(barbotant.)
Moi ? Non ! C'est-à-dire, c'est mon mari qui a voulu… Nous sommes en déménagement. Et alors…

Violette
Oh ! mais c'est charmant !… Nos deux chambres sont voisines !…

Boulot
Madame Paillardin, votre thé bout !…

Marcelle
(à part.)
Oh ! qu'il m'agace avec sa "madame Paillardin" !

Boulot
Madame Paillardin, votre thé…

Marcelle(impatientée.)
C'est bien, merci ! Monsieur, je suis désolée, mais voyez, mon thé m'appelle… (Sur le pas de la porte.)
Je ne vous en offre pas !
Elle entre à gauche.

Mathieu
(la suivant.)
Mais ce n'est pas de refus… avec plaisir !…

Marcelle
(exaspérée.)
Oh !

Les petites
(dansent.)
Oh ! du thé !… Oui, oui, du thé !

Mathieu
(revenant à Boulot.)
Garçon, apportez des tasses !

Boulot
Oui, monsieur.

Marcelle
(à part.)
Oh ! là, là, là ! Je ne pourrai pas m'en débarrasser !

Mathieu
(à ses filles.)
Allons, mes enfants, entrons chez madame Paillardin !

Marcelle
Oh ! sa jaquette !
(Elle la cache derrière elle.)

Mathieu
(regardant autour de lui, à Marcelle.)
C'est gentil, ici !

Marcelle
(gagnant le cabinet de toilette.)
Oui ! oui !

Mathieu
(à ses filles.)
Entrez ! Entrez, mes enfants !
(Elles entrent chez Marcelle qui a fait disparaître la jaquette et le chapeau de Pinglet dans le cabinet de toilette.)

Marcelle
(d'un air aimable.)
Mais asseyez-vous donc !

Mathieu
Ce n'est pas de refus, mais ça manque un peu de chaises !

Marcelle
(avec un rire forcé.)
C'est juste ! C'est très juste ! ha ! ha ! ha !

Boulot(entrant.)
Voilà les tasses !
(Il pose le plateau, sept tasses et le sucrier.)

Tous
Ah ! enfin !

Mathieu
Garçon ! des chaises ! des chaises !

Boulot
Oui, monsieur !
(Il va en chercher chez Chervet.)

Mathieu
Allez ! mes enfants ! Allez aider le garçon !
(Elles vont en prendre à droite et au fond.)

Marcelle
(à part.)
Ah ! mon Dieu ! ils ne s'en vont pas !… Et Pinglet qui va revenir !

Mathieu
Madame, si vous voulez me permettre, je vais verser l'eau dans la théière !…

Marcelle
Oui ! Oui !

Boulot
(rentrant)
Voilà les chaises !
(Les petites rentrent avec une chaise chacune.)

Marcelle
(à part.)
Et voilà où il me conduit, Pinglet ! Voilà où il me conduit !
(Tout le monde s'assoit.)

Boulot(à Marcelle.)
Je vais chercher la boule !

Marcelle
Quelle boule ?

Boulot
La boule du monsieur malade !…

Marcelle
(vivement.)
Ah ! oui, oui. Allez !
(Boulot sort. À part.)
Oh ! là, là ! Ils me feront mourir !(Ne sachant plus ce qu'elle dit.)
Asseyez-vous donc ! Asseyez-vous donc !

Mathieu
(se carrant sur sa chaise.)
Et à part ça, madame Paillardin, ça va-t-il comme vous voulez ?

Marcelle
(inquiète.)
Mais oui ! Mais oui !

Mathieu
(à ses filles.)
Allons, mes enfants, rendez-vous utiles !… Servez le thé !…
(Elles s'en occupent. À Marcelle.)
Et notre ami Pinglet, est-ce que vous le voyez souvent ?

Marcelle
Oh ! très rarement !… Vous savez ce que c'est que les relations à Paris ! Je suis assez liée avec sa femme… c'est pour cela que vous m'avez rencontrée chez lui aujourd'hui.

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