Acte I - Scène VIII



Pinglet, Marcelle

Marcelle
(assise sur le canapé ; furieuse.)
Eh bien, voilà ! voyez comment il me parle, mon mari ! Voilà comment il me parle !… Ah ! c'est trop fort !

Pinglet
(hésite, puis brusquement.)
Marcelle ! Marcelle ! Je t'aime !
(Marcelle se lève vivement.)
Hein !…

Pinglet
Ah ! non, non ! il est trop bête ! il est trop bête ! Vous êtes témoin, n'est-ce pas, que je lui ai dit tout ce qu'il y avait à lui dire ?… J'ai bien rempli mon devoir d'ami ?

Marcelle
Oui !

Pinglet
Je lui ai dit qu'il faisait une bêtise !… Il s'entête à la faire !… Eh bien ! tant pis pour lui !… Je ne retiens qu'une chose : c'est que quand vous l'avez menacé de prendre un consolateur, il vous a répondu : prenez-le !… Eh bien, si vous avez un peu de caractère, vous devez le prendre, ce consolateur. Ah ! mais…

Marcelle
Oui !… vous avez raison !

Pinglet
Et ne me dites pas que vous n'avez personne sous la main, Je suis là, moi !

Marcelle
Vous ?

Pinglet
Oui, moi !… Je ne sais qu'une chose : c'est qu'on vous a insultée devant moi !… Eh bien, je relève l'insulte !… qu'on vous a défiée de prendre un amant !… Eh bien, je relève le défi !… je le serai, votre amant !

Marcelle
Vous ?

Pinglet
Parfaitement !… Ah ! c'est que je n'admets pas qu'on insulte une femme devant moi ! Ah ! mais… Dieu m'est témoin que je souffre d'en être réduit à cette extrémité à l'égard d'un ami ! Je souffre horriblement !… Mais il n'y a pas d'ami qui tienne… Avant tout, chez moi, il y a le chevalier français !… Marcelle ! Marcelle ! Je t'aime.
(Il veut la prendre dans ses bras.)

Marcelle
(se dégageant.)
Hein !… Mais vous n'y pensez pas !… Monsieur Pinglet !… Mais mon devoir !…

Pinglet
Pauvre sacrifiée !… elle parle de son devoir !… Ah ! Marcelle… il y a des moments dans la vie où il faut savoir l'oublier, son devoir !

Marcelle
Oh !

Pinglet
Eh bien ! et moi ?… est-ce que je ne l'oublie pas en ce moment ?… Eh bien, et Madame Pinglet ?… Et pourtant, je n'hésite pas ! parce qu'il s'agit d'un devoir supérieur !

Marcelle
Oui !

Pinglet
On nous a insultés… Et quand on insulte un homme, il n'y a plus ni femmes, ni enfants !… On marche !…

Marcelle
Oui !

Pinglet
Marchons !
(Il lui prend la main.)

Marcelle
Comment ?

Pinglet
Ensemble… Allons-y !
(Il l'entraîne.)

Marcelle
Ah ! Pinglet !… Non, je ne peux pas !

Pinglet
Quoi ! vous hésitez !… Ah ! Marcelle… pas de pusi… pas de pusi… (Il frappe du pied, agacé.)
Pas de pusillanimité ! Cristi ! Avez-vous déjà oublié l'affront qu'il vous a infligé là, devant tous ?

Marcelle
(avec colère.)
Oh ! non !

Pinglet
Alors, quoi ! vos engagements ? Eh ! des engagements ! Est-ce qu'il a tenu les siens, lui ?

Marcelle
C'est vrai !

Pinglet
Eh bien, alors, vous êtes déliée des vôtres !

Marcelle
Absolument !

Pinglet
(lui prenant les mains.)
Quand on pense qu'il a la plus jolie petite femme qu'on puisse rêver et qu'il la laisse là !… au rancart !… en friche !
(Marcelle pleure ; il lui essuie les yeux.)

Marcelle
(pleurant.)
Oui !…(Reprenant son mouchoir des mains de Pinglet.)
C'est mon mouchoir !

Pinglet
Mais il ne vous aime donc pas !… Il n'a donc pas, il n'a pas de tempérament !…

Marcelle
(montrant le poing à la porte du fond.)
Et il s'appelle Paillardin !… Menteur !…

Pinglet
(lui parlant dans l'oreille.)
Allez !… allez !… nous avons une vengeance à tirer !… Eh bien, prenons-là, éclatante et grande !…

Marcelle
(se retournant, brusquement, vers lui.)
Vous avez raison !… Ah ! merci, merci de me dicter mon devoir !

Pinglet
(très tendre, la tenant dans ses bras.)
Vous verrez, moi, quel autre homme je suis !… Combien je suis tendre, aimant, digne de vous, enfin !

Marcelle
(le regardant, avec émotion.)
Ah ! Pinglet… Vous êtes laid !… mais vous savez parler au cœur des femmes !…

Pinglet
Ah ! merci ! Marcelle ! Merci !

Marcelle
Dieu sait qu'il y a une heure vous m'auriez parlé de la sorte, je vous aurais repoussé avec horreur !

Pinglet
Ce que c'est que d'arriver au moment psychologique !

Marcelle
Et maintenant je vous dis : Parlez ! Pinglet ! Ordonnez ! J'obéis !

Pinglet
(la reprenant dans ses bras.)
Ah ! Marcelle !… Marcelle !… Je suis au pays des rêves !

Madame Pinglet
(à la cantonade.)
Pinglet ! Pinglet !

Pinglet
Huah ! Voilà que je retombe dans la réalité !… (À Marcelle qui s'est dégagée de ses bras.)
Marcelle ! nous n'avons pas de temps à perdre ! Voilà ma femme ! Ce soir votre mari part, vous êtes libre !… je me ferai libre de mon côté…

Marcelle
Oui !…

Pinglet
Je vous retrouve et nous allons…

Marcelle
Où ça ?…

Pinglet
Je ne sais pas encore !… mais je vais chercher !… je vous le dirai… et alors, à nous la vengeance !… Chut !… Ma femme !
(Il se sépare de Marcelle et s'arrête devant la table.)

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