Acte III - Scène III



Pinglet, Paillardin, puis Maxime, puis Voix de Marcelle

Paillardin
(enjambant la barre d'appui de la fenêtre ; il a un énorme pochon à l'œil.)
Là ! Ça y est !… Ah ! quelle nuit !… mon ami ! quelle nuit !

Pinglet
Oh ! mais, qu'est-ce que tu as sur l'œil ?

Paillardin
(s'asseyant.)
Oh ! je suis bien arrangé !… Oui, tu ne crois pas aux esprits, toi ?

Pinglet
Ah ! non !

Paillardin
Oui, je n'y croyais pas non plus.
(Se levant.)
Eh ! bien, mon ami, il faut y croire ! Je les ai vus !

Pinglet
Toi ?

Paillardin
Vus, te dis-je !… Ce qui s'appelle vus !

Pinglet
(le blaguant.)
Allons donc !… Ah ! ah ! il a vu les esprits, lui ! il a vu les esprits !

Paillardin
Oui ! Oui ! J'ai fait le sceptique comme toi ! J'ai été à l'hôtel en faisant le malin !… Je disais : ça vient des fosses ! Eh ! bien, rien du tout ! Je n'étais pas endormi depuis une demi-heure dans la chambre hantée, que je me suis réveillé entouré de feux follets, avec des voix surnaturelles, qui semblaient sortir d'apparitions blanches dansant autour de moi une sarabande effrénée !… Et tout ça chantait… chantait… (Pinglet rit.)
Oui ! ris ! ris ! Je me rappelle encore ce qu'ils chantaient.
(Chantant)
Le royaume des fantômes…
Alors, tu comprends, j'ai mis de côté toute fausse honte. J'ai pris mes cliques et mes claques et je suis sauvé comme un perdu !… Enfin, dans une chambre, je crois voir des êtres vivants. Ah ! cette chambre ! cette chambre !…

Pinglet
(s'oubliant)
C'était le 10.

Paillardin
Le 10 ? Je ne sais pas. Pourquoi le 10 plutôt qu'autre chose ?

Pinglet
(interloqué.)
Hein ! Je ne sais pas. Pourquoi autre chose plutôt que le 10 ?

Paillardin
Mettons le 10. Je m'y précipite !… Il y avait là une femme, ou du moins quelque chose qui avait l'air d'une femme avec une robe… et des… (Il indique du geste les ornements.)
Je n'ai pas pu voir sa tête parce qu'elle l'avait sous mon chapeau.

Pinglet
Comment ça ?

Paillardin
Ah ! je n'en sais rien ! Je n'ai eu le temps de me rendre compte de rien. Mais sa robe ! sa robe… Je la reconnaîtrais entre mille !

Pinglet
(à part.)
Sapristi !

Paillardin
Alors, à ce moment, je te dis que ça tient du sortilège un ramoneur est sorti de la cheminée ! Pourquoi ? Comment ? Je n'en sais rien. Un ramoneur… de ta taille, à peu près.

Pinglet
(se retournant vivement.)
Oh ! non. Bien plus grand.

Paillardin
Comment, plus grand.

Pinglet
(embarrassé.)
Les ramoneurs sont toujours plus grands.

Paillardin
C'est possible. Je n'ai pas eu le temps de mesurer ! Avant que j'aie pu me reconnaître il s'est précipité sur moi et alors : vlan ! j'ai reçu un coup de poing dans la figure !… un coup de pied… aussi !

Pinglet
Alors, c'est sans doute le coup de pied qui t'a arrangé l'œil comme ça ?

Paillardin
Non, ça, c'est le coup de poing !… Ah ! il m'a vu, cet hôtel, il m'a vu ! Ah ! mon ami ! Dieu te préserve de passer jamais la nuit avec des esprits frappeurs !
(Il s'assied sur le tabouret.)

Pinglet
(à part.)
C'est qu'il a l'air d'y croire, à ses revenants.(Haut.)
Alors, dis donc, ta femme, elle a cru à tes histoires de revenants ?

Paillardin
Ma femme ? Je ne l'ai pas encore vue ! Quand je suis rentré, cette nuit, j'ai eu beau frapper à la porte, elle ne m'a pas répondu !

Pinglet
(à part.)
Tiens ! parbleu !

Paillardin
Elle dormait comme un plomb !… (Se levant.)
Alors, j'ai été coucher dans la chambre d'amis.

Maxime
(Voix de Maxime, au fond, dans le jardin.)
Mon oncle ! Mon oncle !

Paillardin
Tiens ! on dirait la voix de Maxime.
(Il va à la fenêtre.)

Pinglet
(le suivant.)
Mais oui !… C'est lui !

Paillardin
(à Maxime hors de vue.)
Toi !… Comment n'es-tu pas à ton collège ?

Maxime
Je vais vous dire, mon oncle.

Paillardin
Tiens ! Monte à l'échelle !
(Pinglet s'assied.)

Maxime
Oui ! (Paraissant une cigarette à la bouche.)
Bonjour monsieur Pinglet, bonjour mon oncle… Oh ! qu'est-ce que vous avez donc à l'œil ?

Paillardin
Rien ! rien !… (Etonné.)
Tu as l'air bien déluré !… Dis un peu : pourquoi n'es-tu pas à ton collège ?

Maxime
Je vais vous dire, mon oncle, je ne sais pas comment cela s'est fait… Hier soir… il faut croire que j'avais oublié le matin de remonter ma montre, je me suis trompé d'heure et quand je suis arrivé au collège, la porte était fermée !

Paillardin
Qu'est-ce que tu me dis là ? (Avec méfiance.)
Tu as dû faire quelque blague, toi !

Maxime
Moi ? Oh ! mon oncle ! Moi, des blagues, je suis trop sérieux !

Pinglet
(à part.)
Bon farceur ! Il était avec Victoire à l'hôtel du Libre-Echange !

Paillardin
Alors pourquoi n'es-tu pas rentré directement ici ?…

Maxime
Mon oncle… parce qu'il était trop tard… Et comme vous n'étiez pas ici, j'ai eu peur d'inquiéter ma tante.

Paillardin
Mais alors, où as-tu passé la nuit ?

Maxime
Mais au Continental, mon oncle, au Continental !

Paillardin
Bien sûr ?

Maxime
Oh ! mon oncle !

Pinglet
(à part.)
Il ment comme un arracheur de dents, le philosophe !

Maxime
Alors, ce matin, quand je me suis présenté à Stanislas, le proviseur m'a dit qu'il ne me recevrait qu'avec une lettre de vous.

Paillardin
Allons ! c'est bien. Nous verrons ça !

Maxime
(à part.)
C'est encore heureux qu'il ne m'ait pas reconnu à l'hôtel…

Marcelle
(Voix de Marcelle, derrière la porte.)
Henri ! Henri !

Paillardin
Tiens ! ma femme qui m'appelle.
(À Marcelle, à travers la porte.)
Voilà, chère amie.

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Eh ! bien, ouvre !

Paillardin
Je ne peux pas ! La porte est fermée !… Et c'est madame Pinglet qui a la clef… J'ai dû entrer par la fenêtre. Je suis là avec Pinglet.

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Ah !

Pinglet
(comme s'il ne l'avait pas encore vue.)
Bonjour, madame.

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Bonjour monsieur Pinglet.

Pinglet
(saluant comme s'il voyait Marcelle.)
Et comment ça va-t-il ce matin ? Vous avez bien dormi ?

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Oh ! couçi ! couça ! J'ai passé une nuit bien agitée.

Pinglet
(même jeu.)
Allons ! ça va bien ! ça va bien !

Paillardin
Ah bien ! à propos de nuit agitée… c'est moi qui en ai passé une nuit agitée. Tu ne sais pas ce qui m'est arrivé ?

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Non ! Quoi donc ?

Paillardin
Ah ! c'est à n'y pas croire ! Tu sais, l'hôtel du Libre Echange…

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Je ne connais pas ! Je ne connais pas !

Pinglet
Non ! Nous ne connaissons pas ! Nous ne connaissons pas !

Maxime
Moi non plus ! Moi non plus !…

Paillardin
(se retournant. )
Je sais bien que vous ne le connaissez pas !… C'est un hôtel borgne !… Comment le connaîtriez-vous ?

Pinglet
Evidemment ! Evidemment !… (Riant.)
Ah ! ah !
(Presque ensemble)

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
(riant.)
Oui ! Evidemment ! Ah ! ah ! ah !

Maxime
(riant.)
Ah ! ah ! ah !

Paillardin
Alors, pour en revenir à cet hôtel… Mais, sapristi ! ce n'est pas commode de parler comme ça à travers la porte… Attends-moi, le temps d'enjamber la fenêtre et de faire le tour par le jardin !… Je te rejoins.

Marcelle
(Voix de Marcelle.)
Ah ! bien !

Paillardin
(à Pinglet.)
Tu permets ? Nous nous sommes quittés fâchés hier soir. Je vais faire la paix avec ma femme.
(Il va à la fenêtre.)

Pinglet
Oui ! c'est ça !…

Paillardin
(à Maxime.)
Tiens ! dégringole, toi… Laisse-moi descendre !
(Il disparaît.)

Paillardin
(enjambant la barre d'appui, à Pinglet.)
Tu ne descends pas avec moi ?

Pinglet
Hein, moi ?… Ah ! non, non ! Moi, je reste ! Je reste ! ( À part.)
Merci ! et mon alibi ! (Il va ouvrir la porte puis revient à la fenêtre.)
Ah ! dites donc, retirez l'échelle ! Eh ! retirez l'échelle !

Paillardin
(Voix de Paillardin.)
Oui ! Oui !

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