Acte III - Scène VI
(LES MÊMES, LE TRIBUNAL, LE PREMIER GARDE, LA FOULE)
L'HUISSIER(annonçant.)
Le tribunal, messieurs, levez-vous, découvrez-vous. (Tout le monde se lève et se découvre.) (Le tribunal entre en séance.)
ÉDOUARD(éperdu, à Charançon.)
Le tribunal ! Ah ! mon Dieu, Charançon ! Charançon ! tu es mon ami, je t'en prie, va-t'en !
CHARANÇON
Moi !… Te laisser quand tu es dans le pétrin ! Jamais de la vie !…
ÉDOUARD(avec force.)
Charançon, va-t'en !
CHARANÇON
Ah ! Ne le répète pas ! tu me fâcherais !
LE PRÉSIDENT(qui s'est assis au tribunal avec les deux juges, au greffier.)
Annoncez la reprise de l'audience.
L'HUISSIER(L'audience est reprise.)
N° 20, affaire Édouard.
CHARANÇON(à Édouard.)
"Affaire Édouard !" À toi !
ÉDOUARD(à part.)
Oh ! la ! la !
LE PRÉSIDENT
Eh bien, voyons, l'affaire Édouard.
ÉDOUARD(à part.)
Ah ! mon Dieu ! tous les malheurs ! Charançon qui reste !… mon avocat qui n'arrive pas… (Se frappant le front.)
Mais j'y pense ! le voilà, le prétexte ! (S'avançant à la barre. Au Président.)
Monsieur le Président, je demande au tribunal la remise à quinzaine.
CHARANÇON(derrière Édouard.)
Comment ?
LE PRÉSIDENT
Pourquoi ça, la remise à quinzaine ?
ÉDOUARD
Monsieur le Président, nous n'avons pas d'avocat,
CHARANÇON(prenant la balle au bond.)
Comment ! tu n'as pas d'avocat et tu ne me le disais pas ! Eh bien, et moi ?
ÉDOUARD
Hein ? Lui !…
CHARANÇON(l'écartant de la barre pour se mettre à sa place. )
J'ai besoin d'une affaire, je la tiens, je ne la lâche pas ! (Au président.)
Monsieur le Président, je demande à plaider la cause.
LE PRÉSIDENT
Comment vous appelez-vous, Maître ?
CHARANÇON
Maître Charançon, monsieur le Président !
LE PRÉSIDENT
Vous êtes inscrit au tableau de l'Ordre ?
CHARANÇON
Oui, monsieur le Président.
LE PRÉSIDENT
Combien de temps vous faut-il pour préparer une plaidoirie avec toutes les pièces à l'appui ?
ÉDOUARD(vivement.)
Six semaines, monsieur le Président.
CHARANÇON
T'es bête ! (Au président.)
Oh ! dix minutes, mon Président. Le temps de prendre connaissance de l'affaire.
LE PRÉSIDENT
Eh bien, dans dix minutes, vous plaiderez l'affaire Édouard.
ÉDOUARD
Lui ! oh ! la ! la !
LE PRÉSIDENT(lui tendant le dossier.)
Maître Charançon, si vous voulez aller étudier l'affaire au greffe.
ÉDOUARD(le retenant par sa robe.)
N'y va pas ! N'y va. pas !
CHARANÇON
Mais laisse-moi donc. (Au président.)
J'y vais, monsieur le Président. O Démosthène, inspire- moi ! (Il sort par le fond, à gauche.)
ÉDOUARD(tombant assis sur le banc des prévenus. )
Ah ! mon Dieu ! nous sommes perdus ! je n'oserai jamais avouer à Gabrielle que c'est son mari qui plaide ! Ce serait la tuer !