Acte II - Scène II
(CHARANÇON SAMUEL)
CHARANÇON
Toutes réflexions faites, nous serons mieux ici, c'est plus intime, plus tranquille qu'à l'hôtel du Congo ! C'est gentil !
SAMUEL(déposant ses paquets sur la table.)
Et puis c'est pas haut !
CHARANÇON(ouvrant la porte de droite,)
Ah ! voici le salon !
SAMUEL
Moi, j'aime bien les entresols parce que c'est au premier.
CHARANÇON(passant à gauche.)
Le premier n'est pas désagréable non plus ! (Ouvrant la porte à gauche.)
Ah ! ça, c'est la chambre !
SAMUEL
Oui, mais le premier c'est déjà au second ! (Ouvrant la porte de droite, deuxième plan.)
Ah ! voilà la cuisine. (Revenant à la table.)
Dites donc, monsieur, où faut-il déposer tous ces paquets ?
CHARANÇON(indiquant la porte de droite, deuxième plan.)
Eh bien, par là ! à la cuisine, parbleu !
SAMUEL(prenant les paquets.)
Monsieur veut-il que je le débarrasse de sa bouteille ?
CHARANÇON(la lui passant avec un soin jaloux,)
Oh ! fais attention ! ne la remue pas ! Porte-la couchée !
SAMUEL
Oui, monsieur ! (Il sort par la droite deuxième plan, très embarrassé de ses paquets et de la bouteille.)
CHARANÇON
Merci ! un vieux cognac qui me coûte 40 francs ! J'ai demandé à l'épicier : "De quand est-il ?" Il m'a répondu : "Ce siècle avait deux ans !" Bruit de verre cassé dans la cuisine.
VOIX DE SAMUEL
Oh !
CHARANÇON(à Samuel qui reparaît avec le goulot de la bouteille de Cognac.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
SAMUEL
Monsieur ! C'est le cognac !… Voilà ce qu'il en reste !
CHARANÇON
Animal !… Tu m'as cassé ma bouteille ?
SAMUEL
Je l'avais bien étendue. Elle n'a pas voulu rester couchée !… Elle a roulé !… C'est une rouleuse ! …
CHARANÇON
C'est agréable, et dire qu'on l'a fait poser 87 ans pour ça.
SAMUEL
Oh ! bien ! Quand on a vécu 87 ans, on peut bien casser son goulot… (Changeant de ton.)
Alors, le déjeuner, c'est ici qu'il aura lieu ?…
CHARANÇON
Oui, puisque c'est la salle à manger. (S'asseyant à gauche de la table.)
Hier soir, en arrivant à l'hôtel, où j'ai l'habitude de descendre, j'ai trouvé ce télégramme de Miranda : "Impossible souper ce soir !… mère à la mort, viendrai déjeuner demain."
SAMUEL(qui a transporté le plateau d'huître sur le buffet.)
Comment, impossible souper ?
CHARANÇON
Oui, parce que d'abord ça devait être un souper. Ah !… dis donc, as-tu commandé les glaces ?
SAMUEL
Ah ! oui, au fait, monsieur, on demande si vous les voulez encadrées.
CHARANÇON
Comment, encadrées ?… Qui est-ce qui demande ça ?
SAMUEL
C'est le miroitier, monsieur.
CHARANÇON
Jocrisse ! Je te demande un peu à quoi me serviraient les glaces de ton miroitier dans une partie fine ?
SAMUEL
C'est ce que j'ai pensé ! Mais enfin, je me suis dit : il y aura des dames… et aujourd'hui, on est si dévergondé !
CHARANÇON
Qu'est-ce à dire, monsieur ? Vous oubliez que vous parlez à votre maître ?… un homme marié !
SAMUEL
Je me serais gardé de le rappeler à monsieur dans cette circonstance. On sonne.
CHARANÇON(gagnant la droite. )
Ce doit être ce bon Gratin qui revient avec le homard.
SAMUEL(il se dirige vers le fond à gauche. )
Oui, ce doit être ce bon Gratin.
CHARANÇON
Eh bien… dis donc, tu es familier !…