Acte II - Scène XI



(LES MÊMES, ÉDOUARD)

ÉDOUARD(paraît au fond ; il ne voit pas les trois individus, dissimulés qu'ils sont par la table. )
Caponot ne veut pas entendre raison !(Il se dirige vers le salon où il croit Gabrielle toujours enfermée. Apercevant les autres à quatre pattes, il fait un bond en arrière en poussant un cri.)
Ah !

ÉDOUARD
Charançon !

CHARANÇON(à genoux.)
Lambert ! Vous ici !

ÉDOUARD(interloqué.)
Ah çà ! comment…

CHARANÇON(se levant pendant que les deux autres restent à genoux, )
Eh bien, et ma femme, qu'est ce que vous en avez fait ?

ÉDOUARD(à part.)
Sa femme ! il ne l'a pas vue. (Haut.)
Oh ! elle est à Valfontaine, votre femme ! Je ne l'ai pas amenée. Croyez-le bien, je ne l'ai pas amenée.

CHARANÇON
Ah ! À la bonne heure ! vous m'avez fait une peur !

ÉDOUARD
Mais vous ? qu'est-ce que vous faites là, vous ?…

CHARANÇON
Eh ! bien vous voyez, nous sommes à la pêche à l'huître.

SAMUEL
Nous pêchions à quatre pattes.

CHARANÇON(se remettant à genoux,)
Oui, tenez, aidez-nous donc.

ÉDOUARD
Hein ! moi…

CHARANÇON
Mais oui, vous ! pourquoi donc pas ! Allons, à quatre pattes comme nous ! allez ! allez ! (Il le tire et le fait mettre à genoux.)

ÉDOUARD
Oh ! quelle position !… mon Dieu, quelle position ! (Il ramasse les huîtres comme les autres.)

CHARANÇON
Ah ! ah ! vous ne vous attendiez pas à me voir, hein ?

ÉDOUARD
Oh ? ça ! non par exemple ! Enfin, vous m'aviez dit que vous ne viendriez pas ici, que vous iriez à l'Hôtel du Congo !

CHARANÇON
Oui, mais j'ai réfléchi ! Ici on est plus tranquille.

ÉDOUARD(à part.)
Plus tranquille, et sa femme… Oh ! pourvu qu'il ne lui prenne pas l'idée de sortir. (Machinalement, ne sachant plus ce qu'il fait, au lieu de remettre les huîtres qui sont par terre dans le plateau, il en enlève du plateau, et les met par terre.)

CHARANÇON
Ah ! mon cher… (Voyant le manège d'Édouard.)
Eh ! bien dites donc, qu'est-ce que vous faites ? Ce n'est pas sur le tapis qu'il faut les mettre, c'est sur le plateau.

ÉDOUARD
Oh ! pardon !

CHARANÇON(riant, )
Oh ! mais, dites donc, faudra surveiller ça, vous savez ! (Changeant de ton.)
Qu'est-ce que je voulais donc dire… Ah ! oui, mon cher ! Je suis un grand scélérat !

ÉDOUARD(riant jaune.)
Ah ! vous ! (À part.)
Si seulement je pouvais l'enfermer ! (Il se dirige à quatre pattes vers la porte du salon.)

CHARANÇON
Eh bien ! où allez-vous ! Il n'y a pas d'huîtres par là.

ÉDOUARD
Non, non, en effet !

SAMUEL
Les huîtres sont ici.

ÉDOUARD
Oui ! Oui. (À part.)
Oh ! la la la la !

CHARANÇON(se relevant ainsi que les autres,)
Là ! Ça y est… (À Édouard.)
Oui, mon cher, je suis un grand scélérat ! je triomphe sur toute la ligne ! Miranda est ici.

ÉDOUARD
Ici ! Ah bien ! il ne manquait plus que ça !

CHARANÇON
Aussi vous comprenez mon émotion tout à l'heure.

ÉDOUARD(très agité, ne sachant ce qu'il dit.)
Oui, oui, c'est très drôle !

CHARANÇON
Très drôle, oui, maintenant que c'est passé ! Voyez-vous ma femme tombant au milieu de cette partie fine…

ÉDOUARD(l'esprit ailleurs. )
Ah ! oui, ce serait très drôle, très drôle.

CHARANÇON
Mais non ! ce ne serait pas drôle ! (À part.)
Qu'est-ce qu'il a donc à trouver tout drôle ? (À Édouard.)
Tenez ! Vous voyez… ici, nous déjeunons ! et puis alors, pour le café, et… le pousse- café ! nous serons très bien par là dans le salon. (Il se dirige vers la porte de droite, premier plan.)

ÉDOUARD(se précipitant vers lui.)
Non ! non ! pas par là !

CHARANÇON
Pourquoi pas par là !

ÉDOUARD
Parce que… ça sent le moisi.

CHARANÇON
Eh bien ! si ça sent le moisi, nous ouvrirons. (Il fait de nouveau mine d'entrer dans le salon.)

ÉDOUARD(vivement le retenant.)
Non ! (Lui montrant la porte de gauche premier plan par où est entrée Gabrielle précédemment.)
Non, tenez… par ici… vous serez bien mieux, venez ! (Il l'entraîne.)

CHARANÇON(se laissant conduire en riant.)
Oh ! ça m'est égal… mais ça, c'est la chambre ! Ah ! Ah ! je vous vois venir ! vous êtes encore plus canaille que moi ! (il a la main sur le bouton de la porte et est sur le point d'entrer, quand on sonne, ce qui l'arrête.)
Eh ! bien on est tranquille chez vous ! vous savez ! c'est un passage ! (Au coup de sonnette, Édouard a quitté Charançon et passant derrière la table, est allé se placer près de la porte de droite.)

SAMUEL(revenant d'ouvrir.)
Monsieur, c'est encore l'oiseau de tout à l'heure.

CHARANÇON(à bout de patience.)
Oh ! la la la la !

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