Acte III - Scène IV
(GRATIN PUIS SAMUEL, PUIS LE PREMIER MUNICIPAL, PUIS ÉDOUARD)
GRATIN(reste un instant, la mine allongée, à considérer le tribunal,)
Eh bien, il me laisse seul ?… Seul avec ma robe… Et si l'on vient me demander pourquoi… Oh ! je ne suis pas tranquille… (Brusquement il semble prendre une décision et s'élance vers la porte de sortie à droite, il n'aperçoit pas la barre et va donner contre ; il fait "Oh !" en se frottant l'estomac, considère un instant la barre, puis passe par-dessous, après quoi, se retournant vers la barre, face au tribunal.)
Ah ! c'est la barre !… la barre !… Et dire que ce grand mot, c'est cette petite machine-là !… Il me semble que ça ne m'intimiderait pas du tout ! (S'appuyant à la barre.)
Messieurs… Adressez-vous au Louvre, au Bon Marché, on vous demandera quatre francs, cinq francs… Et bien, moi, messieurs !… (Il continue à voix basse avec force gestes oratoires.)
SAMUEL(entrant de droite, premier plan. )
Neuvième chambre, c'est peut-être ici qu'a lieu cette grande affaire à laquelle ils sont tous allés, madame, monsieur !… Voyons !… à qui m'adresser ?… (Se retournant et apercevant Gratin de dos.)
Oh ! un avocat !… (Gratin fait des gestes oratoires sans rien dire.)
Qu'est-ce qu'il a, on dirait qu'il plaide, et il ne dit rien !… C'est probablement l'avocat des sourds-muets !
GRATIN(qui a tiré des jarretières de sa poche.)
Oui, messieurs… Je recommande spécialement au tribunal les jarretières élastiques !
SAMUEL
Tiens ! Mais c'est M. Gratin. (Lui tapant sur l'épaule.)
Eh bien, qu'est-ce que vous faites en robe, vous ?
GRATIN(effrayé.)
Hein ! moi ? non ! je ne suis pas en robe ! je ne suis pas en robe !… Samuel ! vous ! Ah ! vous m'avez fait une peur !
SAMUEL
Il n'y a pas de quoi !
GRATIN
Comment, il n'y a pas de quoi ? Je n'ai pas le droit d'être en robe !
SAMUEL
Alors pourquoi y êtes-vous ?
GRATIN(à Samuel dans le tuyau de l'oreille.)
Je ne sais pas !
SAMUEL(à Gratin, dans le tuyau de l'oreille.)
Ni moi non plus !
GRATIN(passant au 2.)
Oh ! Mais je n'y tiens plus ! Je vais aller l'enlever…
SAMUEL
Vous avez l'air d'une chauve-souris avec !
GRATIN
Oh ! elle me brûle !… elle me brûle !
SAMUEL
Comme la tunique de Nestor !
GRATIN
Non, sus !
SAMUEL
Comment, sus ?
GRATIN
La tunique de Nessus !
SAMUEL
Oui, ça dépend de la façon de prononcer ! Mais dites donc, on ne fait donc rien ici ? À quelle heure que ça commence, la représentation ?
GRATIN
Quoi ? La représentation ? l'audience !
SAMUEL
Oui ! Enfin l'audience ! Ce que vous êtes chicanier aujourd'hui !
GRATIN
Je ne sais pas, moi, tout à l'heure !
SAMUEL
Eh bien ! dites donc, monsieur Gratin ? Venez-vous prendre un verre en attendant ?…
GRATIN
C'est ça ! J'en profiterai pour retirer ma robe !
SAMUEL
Nous rentrerons quand on sonnera. (Au municipal qui vient de rentrer.)
Ah ! municipal, est-ce qu'on sonne au public ?
LE MUNICIPAL (, bourru. )
Est-ce que je sais ?
SAMUEL(lui offrant un cigare. )
Municipal ! Un londrès… de deux sous ?
LE MUNICIPAL(très aimable.)
Oh ! merci, monsieur.
SAMUEL(à Gratin.)
Comme ça, s'il y a du monde, il nous laissera entrer.
ÉDOUARD(entrant vivement de droite.)
Ah ! non, c'est complet. (Dans son élan, il se cogne contre Samuel qui allait sortir.)
Oh !
SAMUEL
Oh ! faites donc attention ! (Reconnaissant Édouard.)
Tiens, monsieur Lambert !
ÉDOUARD
Samuel ! ici !… et monsieur Gratin !…
GRATIN
Oui, moi ! Ah ! ah ! on en apprend de belles !… C'est du joli.
ÉDOUARD
Qu'est-ce qu'il y a ?
GRATIN
Ah ! ah ! ah ! Mme Édouard !
ÉDOUARD
Malheureux !
GRATIN
Ah ! c'est bon ! c'est bon ! Allons ! Venez, Samuel !
SAMUEL
Oui ! Allons nous humecter ! (Serrant la main au municipal.)
Au revoir, cipal ! (Ils sortent par la droite, premier plan.)