Acte V - Scène III
(Cléobule, Didyme, Paulin)
Cléobule
Ce n'est point, cher ami, le cœur troublé d'alarmes
Que je t'attends ici pour te donner des larmes :
Un astre plus bénin vient d'éclairer tes jours ;
Il faut vivre, Didyme, il faut vivre.
Didyme
Et j'y cours.
Pour la cause de Dieu s'offrir en sacrifice,
C'est courir à la vie, et non pas au supplice.
Cléobule
Peut-être dans ta secte est-ce une vision,
Mais l'heur que je t'apporte est sans illusion.
Théodore est à toi : ce dernier témoignage
Et de ta passion et de ton grand courage
A si bien en amour changé tous ses mépris,
Qu'elle t'attend chez moi pour t'en donner le prix.
Didyme
Que me sert son amour et sa reconnaissance
Alors que leur effet n'est plus en sa puissance ?
Et qui t'amène ici, par ce frivole attrait,
Aux douceurs de ma mort mêler un vain regret,
Empêcher que ma joie à mon heur ne réponde,
Et m'arracher encore un regard vers le monde ?
Ainsi donc Théodore est cruelle à mon sort
Jusqu'à persécuter et ma vie et ma mort,
Dans sa haine et sa flamme également à craindre,
Et moi dans l'une et l'autre également à plaindre !
Cléobule
Ne te figure point d'impossibilité
Où tu fais, si tu veux, trop de facilité,
Où tu n'as qu'à te faire un moment de cont rainte.
Donne à ton Dieu ton cœur, aux nôtres quelque feinte :
Un peu d'encens offert au pied de leurs autels
Peut égaler ton sort au sort des immortels.
Didyme
Et pour cela vers moi Théodore t'envoie ?
Son esprit adouci me veut par cette voie ?
Cléobule
Non, elle ignore encor que tu sois arrêté.
Mais ose en sa faveur te mettre en liberté,
Ose te dérober aux fureurs de Marcelle,
Et Placide t'enlève en Égypte avec elle,
Où son cœur généreux te laisse entre ses bras
Etre avec sûreté tout ce que tu voudras.
Didyme
Va, dangereux ami que l'enfer me suscite,
Ton damnable artifice en vain me sollicite.
Mon cœur, inébranlable aux plus cruels tourments,
A presque été surpris de tes chatouillements :
Leur mollesse a plus fait que le fer ni la flamme,
Elle a frappé mes sens, elle a brouillé mon âme,
Ma raison s'est troublée, et mon faible a paru.
Mais j'ai dépouillé l'homme, et Dieu m'a secouru.
Va revoir ta parente, et dis-lui qu'elle quitte
Ce soin de me payer par delà mon mérite :
Je n'ai rien fait pour elle, elle ne me doit rien ;
Ce qu'elle juge amour n'est qu'ardeur de chrétien.
C'est la connaître mal que de la reconnaître :
Je n'en veux point de prix que du souverain maître
Et, comme c'est lui seul que j'ai considéré,
C'est lui seul dont j'attends ce qu'il m'a préparé.
Si pourtant elle croit me devoir quelque chose
Et peut avant ma mort souffrir que j'en dispose,
Qu'elle paye à Placide et tâche à conserver
Des jours que par les miens je viens de lui sauver ;
Qu'elle fuie avec lui, c'est tout ce que veut d'elle
Le souvenir mourant d'une flamme si belle.
Mais elle-même, hélas ! À quel dessein ?