Acte V - Scène VI



(Marcelle, Théodore, Didyme, Paulin, Lycante, Stéphanie)

Marcelle (, à Lycante.)
Avec quelle douceur j'en reçois la nouvelle,
Non que mes déplaisirs s'en puissent soulager,
Mais c'est toujours beaucoup que se pouvoir venger.

Théodore
Madame, je vous viens rendre votre victime :
Ne le retenez plus, ma fuite est tout son crime ;
Ce n'est qu'au lieu de moi qu'on le mène à l'autel ;
Et puisque je me montre, il n'est plus criminel.
C'est pour moi que Placide a dédaigné Flavie,
C'est moi par conséquent qui lui coûte la vie.

Didyme
Non. C'est moi seul, Madame, et vous l'avez pu voir,
Qui, sauvant sa rivale, ai fait son désespoir,
C'est moi de qui l'audace a terminé sa vie,
C'est moi par conséquent qui vous ôte Flavie,
Et sur qui doit verser ce courage irrité
Tout ce que la vengeance a de sévérité.

Marcelle
O couple de ma perte également coupable !
Sacrilèges auteurs du malheur qui m'accable,
Qui, dans ce vain débat, vous vantez à l'envi,
Lorsque j'ai tout perdu, de me l'avoir ravi !
Donc jusques à ce point vous bravez ma colère
Qu'en vous faisant périr je ne vous puis déplaire,
Et que, loin de trembler sous la punition,
Vous y courez tous deux avec ambition !
Elle semble à tous deux porter un diadème ;
Vous en êtes jaloux comme d'un bien suprême ;
L'un et l'autre de moi s'efforce à l'obtenir.
Je puis vous immoler, et ne puis vous punir ;
Et, quelque sang qu'épande une mère affligée,
Ne vous punissant pas, elle n'est pas vengée.
Toutefois Placide aime, et votre châtiment
Portera sur son cœur ses coups plus puissamment ;
Dans ce gouffre de maux c'est lui qui m'a plongée,
Et, si je l'en punis, je suis assez vengée.

Théodore (, à Didyme.)
J'ai donc enfin gagné, Didyme, et, tu le vois,
L'arrêt est prononcé : c'est moi dont on fait choix,
C'est moi qu'aime Placide, et ma mort te délivre.

Didyme
Non, non, si vous mourez, Didyme vous doit suivre.

Marcelle
Tu la suivras, Didyme, et je suivrai tes vœux :
Un déplaisir si grand n'a pas trop de tous deux.
Que ne puis-je aussi bien immoler à Flavie
Tous les chrétiens ensemble, et toute la Syrie !
Ou que ne peut ma haine, avec un plein loisir,
Animer les bourreaux qu'elle saurait choisir,
Repaître mes douleurs d'une mort dure et lente,
Vous la rendre à la fois et cruelle et traînante,
Et parmi les tourments soutenir votre sort,
Pour vous faire sentir chaque jour une mort !
Mais je sais le secours que Placide prépare,
Je sais l'effort pour vous que fera ce barbare,
Et ma triste vengeance a beau se consulter,
Il me faut ou la perdre ou la précipiter.
Hâtons-la donc, Lycante, et courons-y sur l'heure :
La plus prompte des morts est ici la meilleure ;
N'avoir pour y descendre à pousser qu'un soupir,
C'est mourir doucement, mais c'est enfin mourir,
Et lorsqu'un grand obstacle à nos fureurs s'oppose,
Se venger à demi, c'est du moins quelque chose.
Amenez-les tous deux.

Paulin
Sans l'ordre de Valens ?
Madame, écoutez moins des transports si bouillants :
Sur son autorité c'est beaucoup entreprendre.

Marcelle
S'il en demande compte, est-ce à vous de le rendre ?

Paulin (, portez ailleurs vos conseils indiscrets)
Et ne prenez souci que de vos intérêts.

Théodore (, à Didyme.)
Ainsi, de ce combat que la vertu nous donne,
Nous sortirons tous deux avec une couronne.

Didyme
Oui, Madame, on exauce et vos vœux et les miens :
Dieu…

Marcelle
Vous suivrez ailleurs de si doux entretiens.
Amenez-les tous deux.

Paulin (, seul.)
Quel orage s'apprête !
Que je vois se former une horrible tempête !
Si Placide survient, que de sang répandu !
Et qu'il en répandra s'il trouve tout perdu !
Allons chercher Valens : qu'à tant de violence
Il oppose, non plus une molle prudence,
Mais un courage mâle, et qui, d'autorité,
Sans rien craindre…

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