Acte V - Scène VIII



(Valens, Paulin, Stéphanie)

Valens (, à Stéphanie.)
Marcelle a donc osé les traîner à la mort,
Sans mon su, sans mon ordre ? Et son audace extrême…

Stéphanie
Seigneur, pleurez sa perte : elle est morte elle-même.

Valens
Elle est morte !

Stéphanie
Elle l'est.

Valens
Et Placide a commis…

Stéphanie
Non. Ce n'est en effet ni lui ni ses amis ;
Mais s'il n'en est l'auteur, du moins il en est cause.

Valens
Ah ! Pour moi l'un et l'autre est une même chose
Et, puisque c'est l'effet de leur inimitié,
Je dois venger pour lui cette chère moitié.
Mais apprends-moi sa mort, du moins si tu l'as vue.

Stéphanie
De l'escalier à peine elle était descendue,
Qu'elle aperçoit Placide aux portes du palais,
Suivi d'un gros armé d'amis et de valets ;
Sur les bords du perron soudain elle s'avance,
Et, pressant sa fureur qu'accroît cette présence :
"Viens, dit-elle, viens voir l'effet de ton secours" ;
Et sans perdre le temps en de plus longs discours,
Ayant fait avancer l'une et l'autre victime,
D'un côté Théodore, et de l'autre Didyme,
Elle lève le bras, et de la même main
Leur enfonce à tous deux un poignard dans le sein.

Valens
Quoi ! Théodore est morte ?

Stéphanie
Et Didyme avec elle.

Valens
Et l'un et l'autre enfin de la main de Marcelle ?
Ah ! Tout est pardonnable aux douleurs d'un amant,
Et quoi qu'ait fait Placide en son ressentiment…

Stéphanie
Il n'a rien fait, Seigneur, mais écoutez le reste :
Il demeure immobile à cet objet funeste ;
Quelque ardeur qui le pousse à venger ce malheur,
Pour en avoir la force il a trop de douleur ;
Il pâlit, il frémit, il tremble, il tombe, il pâme,
Sur son cher Cléobule il semble rendre l'âme.
Cependant, triomphante entre ces deux mourants,
Marcelle les contemple à ses pieds expirants,
Jouit de sa vengeance et, d'un regard avide,
En cherche les douceurs jusqu'au cœur de Placide
Et tantôt se repaît de leurs derniers soupirs,
Tantôt goûte à pleins yeux ses mortels déplaisirs,
Y mesure sa joie et trouve plus charmante
La douleur de l'amant que la mort de l'amante,
Nous témoigne un dépit qu'après ce coup fatal,
Pour être trop sensible il sent trop peu son mal,
En hait sa pâmoison qui la laisse impunie,
Au péril de ses jours la souhaite finie.
Mais à peine il revit, qu'elle, haussant la voix :
"Je n'ai pas résolu de mourir à ton choix,
Dit-elle, ni d'attendre à rejoindre Flavie
Que ta rage insolente ordonne de ma vie."
À ces mots, furieuse, et, se perçant le flanc
De ce même poignard fumant d'un autre sang,
Elle ajoute : "Va, traître, à qui j'épargne un crime,
Si tu veux te venger, cherche une autre victime :
Je meurs, mais j'ai de quoi rendre grâces aux dieux,
Puisque je meurs vengée, et vengée à tes yeux."
Lors même, dans la mort conservant son audace,
Elle tombe, et, tombant, elle choisit sa place,
D'où son œil semble encore à longs traits se soûler
Du sang des malheureux qu'elle vient d'immoler.

Valens
Et Placide ?

Stéphanie
J'ai fui, voyant Marcelle morte,
De peur qu'une douleur et si juste et si forte
Ne vengeât… Mais, Seigneur, je l'aperçois qui vient.

Valens
Arrête : de faiblesse à peine il se soutient ;
Et d'ailleurs à ma vue il saura se contraindre ;
Ne crains rien. Mais, ô dieux ! Que j'ai moi-même à craindre !

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