Acte II - Scène VI
(Valens, Marcelle, Paulin, Stéphanie)
Marcelle
Eh quoi ! Pour la punir,
Quand le crime est constant, qui vous peut retenir ?
Valens
Agréerez-vous le choix que je fais d'un supplice ?
Marcelle
J'agréerai tout, Seigneur, pourvu qu'elle périsse ;
Choisissez le plus doux, ce sera m'obliger.
Valens
Ah ! Que vous savez mal comme il se faut venger !
Marcelle
Je ne suis point cruelle, et n'en veux à sa vie
Que pour rendre Placide à l'amour de Flavie.
Otez-nous cet obstacle à nos contentements,
Mais, en faveur du sexe, épargnez les tourments.
Qu'elle meure, il suffit.
Valens
Oui, sans plus de demeure,
Pour l'intérêt des dieux je consens qu'elle meure :
Indigne de la vie, elle doit en sortir ;
Mais pour votre intérêt je n'y puis consentir.
Quoi ! Madame, la perdre, est-ce gagner Placide ?
Croyez-vous que sa mort le change, ou l'intimide ?
Que ce soit un moyen d'être aimable à ses yeux,
Que de mettre au tombeau ce qu'il aime le mieux ?
Ah ! Ne vous flattez point d'une espérance vaine :
En cherchant son amour vous redoublez sa haine ;
Et dans le désespoir où vous l'allez plonger,
Loin d'en aimer la cause, il voudra s'en venger ;
Chaque jour à ses yeux cette ombre ensanglantée,
Sortant des tristes nuits où vous l'aurez jetée,
Vous peindra toutes deux avec des traits d'horreur
Qui feront de sa haine une aveugle fureur,
Et, lors, je ne dis pas tout ce que j'appréhende.
Son âme est violente, et son amour est grande ;
Verser le sang aimé, ce n'est pas l'en guérir,
Et le désespérer, ce n'est pas l'acquérir.
Marcelle
Ainsi donc vous laissez Théodore impunie ?
Valens
Non, je la veux punir, mais pour l'ignominie,
Et, pour forcer Placide à vous porter ses vœux,
Rendre cette chrétienne indigne de ses feux.
Marcelle
Je ne vous entends point.
Valens
Contentez-vous, Madame,
Que je vois pleinement les désirs de votre âme,
Que de votre intérêt je veux faire le mien.
Allez, et sur ce point ne demandez plus rien.
Si je m'expliquais mieux, quoique son ennemie,
Vous la garantiriez d'une telle infamie,
Et, quelque bon succès qu'il en faille espérer,
Votre haute vertu ne pourrait l'endurer.
Agréez ce supplice, et, sans que je le nomme,
Sachez qu'assez souvent on le pratique à Rome,
Qu'il est craint des chrétiens, qu'il plaît à l'empereur,
Qu'aux filles de sa sorte il fait le plus d'horreur,
Et que ce digne objet de votre juste haine
Voudrait de mille morts racheter cette peine.
Marcelle
Soit que vous me vouliez éblouir ou venger,
Jusqu'à l'événement je n'en veux point juger :
Je vous en laisse faire. Adieu, disposez d'elle ;
Mais gardez d'oublier qu'enfin je suis Marcelle,
Et que, si vous trompez un si juste courroux,
Je me saurai bientôt venger d'elle et de vous.