Acte III - Scène première
(Théodore, Paulin)
Théodore
Où m'allez-vous conduire ?
Paulin
Il est en votre choix :
Suivez-moi dans le temple, ou subissez nos lois.
Théodore
De ces indignités vos juges sont capables ?
Paulin
Ils égalent la peine aux crimes des coupables.
Théodore
Si le mien est trop grand pour le dissimuler,
N'est-il point de tourments qui puissent l'égaler ?
Paulin
Comme dans les tourments vous trouvez des délices,
Ils ont trouvé pour vous ailleurs de vrais supplices,
Et, par un châtiment aussi grand que nouveau,
De votre vertu même ils font votre bourreau.
Théodore
Ah ! Qu'un si détestable et honteux sacrifice
Est pour elle, en effet, un rigoureux supplice !
Paulin
Ce mépris de la mort qui partout à nos yeux
Brave si hautement et nos lois et nos dieux,
Cette indigne fierté ne serait pas punie
À ne vous ôter rien de plus cher que la vie ;
Il faut qu'on leur immole, après de tels mépris,
Ce que chez votre sexe on met à plus haut prix,
Ou que cette fierté, de nos lois ennemie,
Cède aux justes horreurs d'une pleine infamie,
Et que votre pudeur rende de nos immortels
L'encens que votre orgueil refuse à leurs autels.
Théodore
Valens me fait par vous porter cette menace
Mais, s'il hait les chrétiens, il respecte ma race :
Le sang d'Antiochus n'est pas encore si bas
Qu'on l'abandonne en proie aux fureurs des soldats.
Paulin
Ne vous figurez point qu'en un tel sacrilège
Le sang d'Antiochus ait quelque priv ilège :
Les dieux sont au-dessus des rois dont vous sortez
Et l'on vous traite ici comme vous les traitez.
Vous les déshonorez, et l'on vous déshonore.
Théodore
Vous leur immolez donc l'honneur de Théodore,
À ces dieux dont enfin la plus sainte action
N'est qu'inceste, adultère, et prostitution ?
Pour venger les mépris que je fais de leurs temples,
Je me vois condamnée à suivre leurs exemples
Et, dans vos dures lois, je ne puis éviter
Ou de leur rendre hommage, ou de les imiter !
Dieu de la pureté, que vos lois sont bien autres !
Paulin
Au lieu de blasphémer, obéissez aux nôtres
Et ne redoublez point par vos impiétés
La haine et le courroux de nos dieux irrités :
Après nos châtiments ils ont encor leur foudre.
On vous donne de grâce une heure à vous résoudre ;
Vous savez votre arrêt, vous avez à choisir ;
Usez utilement de ce peu de loisir.
Théodore
Quelles sont vos rigueurs, si vous le nommez grâce !
Et quel choix voulez-vous qu'une chrétienne fasse,
Réduite à balancer son esprit agité
Entre l'idolâtrie et l'impudicité ?
Le choix est inutile où les maux sont extrêmes.
Reprenez votre grâce, et choisissez vous-même :
Quiconque peut choisir consent à l'un des deux,
Et le consentement est seul lâche et honteux.
Dieu, tout juste et tout bon, qui lit dans nos pensées,
N'impute point de crime aux actions forcées :
Soit que vous contraigniez pour vos dieux impuissants
Mon corps à l'infâmie ou ma main à l'encens,
Je saurai conserver, d'une âme résolue,
À l'époux sans macule une épouse impollue.