ACTE V - SCÈNE III



(Grimoald, Rodelinde, Édwige, Unulphe)

Grimoald
(À Rodelinde)
Que tardez-vous, madame, et quel soin vous retient ?
Suivez de votre époux le nom, l'image, ou l'ombre ;
De ceux qui m'ont trahi croissez l'indigne nombre,
Et délivrez mes yeux, trop aisés à charmer,
Du péril de vous voir et de vous trop aimer.
Suivez : votre captif ne vous tient plus captive.

Rodelinde
Rends-le moi donc, tyran, afin que je le suive.
À quelle indigne feinte oses-tu recourir,
De m'ouvrir sa prison quand tu l'as fait mourir !
Lâche, présumes-tu qu'un faux bruit de sa fuite
Cache de tes fureurs la barbare conduite ?
Crois-tu qu'on n'ait point d'yeux pour voir ce que tu fais,
Et jusque dans ton cœur découvrir tes forfaits ?

Édwige
Madame…

Rodelinde
Eh bien ! Madame, êtes-vous sa complice ?
Vous chargez-vous pour lui de toute l'injustice ?
Et sa main qu'il vous tend vous plaît-elle à ce prix ?

Édwige
Vous la vouliez tantôt teinte du sang d'un fils,
Et je puis l'accepter teinte du sang d'un frère,
Si je veux être sœur comme vous étiez mère.

Rodelinde
Ne me reprochez point une juste fureur
Où des feux d'un tyran me réduisait l'horreur ;
Et puisque de sa foi vous êtes ressaisie,
Faites cesser l'aigreur de votre jalousie.

Édwige
Ne me reprochez point des sentiments jaloux,
Quand je hais les tyrans autant ou plus que vous.

Rodelinde
Vous pouvez les haïr quand Grimoald vous aime !

Édwige
J'aime en lui sa vertu plus que son diadème ;
Et voyant quels motifs le font encore agir,
Je ne vois rien en lui qui me fasse rougir.

Rodelinde
Rougis-en donc toi seul, toi qui caches ton crime,
Qui t'immolant un roi, dérobes ta victime,
Et d'un grand ennemi déguisant tout le sort,
Le fais fourbe en sa vie et fuir après sa mort.
De tes fausses vertus les brillantes pratiques
N'élevaient que pour toi ces tombeaux magnifiques :
C'étaient de vains éclats de générosité,
Pour rehausser ta gloire avec impunité.
Tu n'accablais son nom de tant d'honneurs funèbres
Que pour ensevelir sa mort dans les ténèbres,
Et lui tendre avec pompe un piège illustre et beau,
Pour le priver un jour des honneurs du tombeau.
Soûle-toi de son sang ; mais rends-moi ce qui reste,
Attendant ma vengeance, ou le courroux céleste,
Que je puisse…

Grimoald
Ah ! Madame, où me réduisez-vous
Pour un fourbe qu'elle aime à nommer son époux ?
Votre pitié ne sert qu'à me couvrir de honte,
Si quand vous me l'ôtez, il m'en faut rendre conte,
Et si la cruauté de mon triste destin
De ce que vous sauvez me nomme l'assassin.

Unulphe
Seigneur, je crois savoir la route qu'il a prise ;
Et si sa majesté veut que je l'y conduise,
Au péril de ma tête, en moins d'une heure ou deux,
Je m'offre de la rendre à l'objet de ses vœux.
Allons, allons, madame, et souffrez que je tâche…

Rodelinde
Ô d'un lâche tyran ministre encore plus lâche,
Qui sous un faux semblant d'un peu d'humanité
Penses contre mes pleurs faire sa sûreté !
Que ne dis-tu plutôt que ses justes alarmes
Aux yeux des bons sujets veulent cacher mes larmes,
Qu'il lui faut me bannir, de crainte que mes cris
Du peuple et de la cour n'émeuvent les esprits ?
Traître, si tu n'étais de son intelligence,
Pourrait-il refuser ta tête à sa vengeance ?
Que devient, Grimoald, que devient ton courroux ?
Tes ordres en sa garde avaient mis mon époux.
Il a brisé ses fers, il sait où va sa fuite ;
Si je le veux rejoindre, il s'offre à ma conduite ;
Et quand son sang devrait te répondre du sien,
Il te voit, il te parle, et n'appréhende rien !

Grimoald
Quand ce qu'il fait pour vous hasarderait ma vie,
Je ne puis le punir de vous avoir servie.
Si j'avais cependant quelque peur que vos cris
De la cour et du peuple émussent les esprits,
Sans vous prier de fuir pour finir mes alarmes,
J'aurais trop de moyens de leur cacher vos larmes.
Mais vous êtes, madame, en pleine liberté ;
Vous pouvez faire agir toute votre fierté,
Porter dans tous les cœurs ce qui règne en votre âme :
Le vainqueur du mari ne peut craindre la femme.
Mais que veut ce soldat ?

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