ACTE III - SCÈNE IV



(Pertharite, Grimoald, Rodelinde, Garibalde, Unulphe)

Unulphe
Que faites-vous, seigneur ? Pertharite est vivant :
Ce n'est plus un bruit sourd, le voilà qu'on amène ;
Des chasseurs l'ont surpris dans la forêt prochaine,
Où, caché dans un fort, il attendait la nuit.

Grimoald
Je vois trop clairement quelle main le produit.

Rodelinde
Est-ce donc vous, seigneur ? Et les bruits infidèles
N'ont-ils semé de vous que de fausses nouvelles ?

Pertharite
Qui, cet époux si cher à vos chastes désirs,
Qui vous a tant coûté de pleurs et de soupirs…

Grimoald
Va, fantôme insolent, retrouver qui t'envoie,
Et ne te mêle point d'attenter à ma joie.
Il est encore ici des supplices pour toi,
Si tu viens y montrer la vaine ombre d'un roi.
Pertharite n'est plus.

Pertharite
Pertharite respire,
Il te parle, il te voit régner dans son empire.
Que ton ambition ne s'effarouche pas
Jusqu'à me supposer toi-même un faux trépas :
Il est honteux de feindre où l'on peut toutes choses.
Je suis mort, si tu veux ; je suis mort, si tu l'oses,
Si toute ta vertu peut demeurer d'accord
Que le droit de régner me rend digne de mort.
Je ne viens point ici par de noirs artifices
De mon cruel destin forcer les injustices,
Pousser des assassins contre tant de valeur,
Et t'immoler en lâche à mon trop de malheur.
Puisque le sort trahit ce droit de ma naissance,
Jusqu'à te faire un don de ma toute-puissance,
Règne sur mes états que le ciel t'a soumis ;
Peut-être un autre temps me rendra des amis.
Use mieux cependant de la faveur céleste :
Ne me dérobe pas le seul bien qui me reste,
Un bien où je te suis un obstacle éternel,
Et dont le seul désir est pour toi criminel.
Rodelinde n'est pas du droit de ta conquête :
Il faut, pour être à toi, qu'il m'en coûte la tête ;
Puisqu'on m'a découvert, elle dépend de toi ;
Prends-la comme tyran, ou l'attaque en vrai roi.
J'en garde hors du trône encore les caractères,
Et ton bras t'a saisi de celui de mes pères.
Je veux bien qu'il supplée au défaut de ton sang,
Pour mettre entre nous deux égalité de rang.
Si Rodelinde enfin tient ton âme charmée,
Pour voir qui la mérite il ne faut point d'armée.
Je suis roi, je suis seul, j'en suis maître, et tu peux
Par un illustre effort faire place à tes vœux.

Grimoald
L'artifice grossier n'a rien qui m'épouvante.
Édwige à fourber n'est pas assez savante ;
Quelque adresse qu'elle aie, elle t'a mal instruit,
Et d'un si haut dessein elle a fait trop de bruit.
Elle en fait avorter l'effet par la menace,
Et ne te produit plus que de mauvaise grâce.

Pertharite
Quoi ? Je passe à tes yeux pour un homme attitré ?

Grimoald
Tu l'avoueras toi-même ou de force ou de gré.
Il faut plus de secret alors qu'on veut surprendre,
Et l'on ne surprend point quand on se fait attendre.

Pertharite
Parlez, parlez, madame, et faites voir à tous
Que vous avez des yeux pour connaître un époux.

Grimoald
Tu veux qu'en ta faveur j'écoute ta complice !
Eh bien ! Parlez, madame ; achevez l'artifice.
Est-ce là votre époux ?

Rodelinde
Toi qui veux en douter,
Par quelle illusion m'oses-tu consulter ?
Si tu démens tes yeux, croiras-tu mon suffrage ?
Et ne peux-tu sans moi connaître son visage ?
Tu l'as vu tant de fois, au milieu des combats,
Montrer, à tes périls, ce que pesait son bras,
Et l'épée à la main, disputer en personne,
Contre tout ton bonheur, sa vie et sa couronne.
Si tu cherches une aide à traiter d'imposteur
Un roi qui t'a fermé la porte de mon cœur,
Consulte Garibalde, il tremble à voir son maître :
Qui l'osa bien trahir l'osera méconnaître ;
Et tu peux recevoir de son mortel effroi
L'assurance qu'enfin tu n'attends pas de moi.
Un service si haut veut une âme plus basse ;
Et tu sais…

Grimoald
Oui, je sais jusqu'où va votre audace.
Sous l'espoir de jouir de ma perplexité,
Vous cherchez à me voir l'esprit inquiété ;
Et ces discours en l'air que l'orgueil vous inspire
Veulent persuader ce que vous n'osez dire,
Brouiller la populace, et lui faire après vous
En un fourbe impudent respecter votre époux.
Poussez donc jusqu'au bout, devenez plus hardie :
Dites-nous hautement…

Rodelinde
Que veux-tu que je dise ?
Il ne peut être ici que ce que tu voudras :
Tes flatteurs en croiront ce que tu résoudras.
Je n'ai pas pour t'instruire assez de complaisance ;
Et puisque son malheur l'a mis en ta puissance,
Je sais ce que je dois, si tu ne me le rends.
Achève de te mettre au rang des vrais tyrans.

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