ACTE V - SCÈNE II
(Grimoald, Édwige, Unulphe)
Grimoald
Que voulez-vous enfin, madame, que j'espère ?
Qu'ordonnez-vous de moi ?
Édwige
Que fais-tu de mon frère ?
Qu'ordonnes-tu de lui ? Prononce ton arrêt.
Grimoald
Toujours d'un imposteur prendrez-vous l'intérêt ?
Édwige
Veux-tu suivre toujours le conseil tyrannique
D'un traître qui te livre à la haine publique ?
Grimoald
Qu'en faveur de ce fourbe à tort vous m'accusez !
Je vous offre sa grâce, et vous la refusez.
Édwige
Cette offre est un supplice aux princes qu'on opprime :
Il ne faut point de grâce à qui se voit sans crime ;
Et tes yeux, malgré toi, ne te font que trop voir
Que c'est à lui d'en faire, et non d'en recevoir.
Ne t'obstine donc plus à t'aveugler toi-même :
Soit tel que je t'aimais, si tu veux que je t'aime ;
Sois tel que tu parus quand tu conquis Milan :
J'aime encore son vainqueur, mais non pas son tyran.
Rends-toi cette vertu pleine, haute, sincère,
Qui t'affermit si bien au trône de mon frère ;
Rends-lui du moins son nom, si tu me rends ton cœur.
Qui peut feindre pour lui peut feindre pour la sœur ;
Et tu ne vois en moi qu'une amante incrédule,
Quand je vois qu'avec lui ton âme dissimule.
Quitte, quitte en vrai roi les vertus des tyrans,
Et ne me cache plus un cœur que tu me rends.
Grimoald
Lisez-y donc vous-même : il est à vous, madame ;
Vous en voyez le trouble aussi bien que la flamme.
Sans plus me demander ce que vous connaissez,
De grâce, croyez-en tout ce que vous pensez.
C'est redoubler ensemble et mes maux et ma honte
Que de forcer ma bouche à vous en rendre conte.
Quand je n'aurais point d'yeux, chacun en a pour moi.
Garibalde lui seul a méconnu son roi ;
Et par un intérêt qu'aisément je devine,
Ce lâche, tant qu'il peut, par ma main l'assassine.
Mais que plutôt le ciel me foudroie à vos yeux,
Que je songe à répandre un sang si précieux !
Madame, cependant mettez-vous en ma place :
Si je le reconnais, que faut-il que j'en fasse ?
Le tenir dans les fers avec le nom de roi,
C'est soulever pour lui ses peuples contre moi.
Le mettre en liberté, c'est le mettre à leur tête,
Et moi-même hâter l'orage qui s'apprête.
Puis-je m'assurer d'eux et souffrir son retour ?
Puis-je occuper son trône et le voir dans ma cour ?
Un roi, quoique vaincu, garde son caractère :
Aux fidèles sujets sa vue est toujours chère ;
Au moment qu'il paraît, les plus grands conquérants,
Pour vertueux qu'ils soient, ne sont que des tyrans ;
Et dans le fond des cœurs sa présence fait naître
Un mouvement secret qui les rend à leur maître.
Ainsi mon mauvais sort a de quoi me punir
Et de le délivrer et de le retenir.
Je vois dans mes prisons sa personne enfermée
Plus à craindre pour moi qu'en tête d'une armée.
Là mon bras animé de toute ma valeur
Chercherait avec gloire à lui percer le cœur ;
Mais ici, sans défense, hélas ! Qu'en puis-je faire ?
Si je pense régner, sa mort m'est nécessaire ;
Mais soudain ma vertu s'arme si bien pour lui,
Qu'en mille bataillons il aurait moins d'appui.
Pour conserver sa vie et m'assurer l'empire,
Je fais ce que je puis à le faire dédire :
Des plus cruels tyrans j'emprunte le courroux,
Pour tirer cet aveu de la reine ou de vous ;
Mais partout je perds temps, partout même constance
Rend à tous mes efforts pareille résistance.
Encore s'il ne fallait qu'éteindre ou dédaigner
En des troubles si grands la douceur de régner,
Et que pour vous aimer et ne vous point déplaire
Ce grand titre de roi ne fût pas nécessaire,
Je me vaincrais moi-même, et lui rendant l'état,
Je mettrais ma vertu dans son plus haut éclat.
Mais je vous perds, madame, en quittant la couronne ;
Puisqu'il vous faut un roi, c'est vous que j'abandonne ;
Et dans ce cœur à vous par vos yeux combattu
Tout mon amour s'oppose à toute ma vertu.
Vous pour qui je m'aveugle avec tant de lumières,
Si vous êtes sensible encore à mes prières,
Daignez servir de guide à mon aveuglement,
Et faites le destin d'un frère et d'un amant.
Mon amour de tous deux vous fait la souveraine :
Ordonnez-en vous-même, et prononcez en reine.
Je périrai content, et tout me sera doux,
Pourvu que vous croyiez que je suis tout à vous.
Édwige
Que tu me connais mal, si tu connais mon frère !
Tu crois donc qu'à ce point la couronne m'est chère,
Que j'ose mépriser un comte généreux
Pour m'attacher au sort d'un tyran trop heureux ?
Aime-moi si tu veux, mais crois-moi magnanime :
Avec tout cet amour garde-moi ton estime ;
Crois-moi quelque tendresse encore pour mon vrai sang,
Qu'une haute vertu me plaît mieux qu'un haut rang,
Et que vers Gundebert je crois ton serment quitte,
Quand tu n'aurais qu'un jour régné pour Pertharite.
Milan, qui l'a vu fuir, et t'a nommé son roi,
De la haine d'un mort a dégagé ma foi.
À présent je suis libre, et comme vraie amante
Je secours malgré toi ta vertu chancelante,
Et dérobe mon frère à ta soif de régner,
Avant que tout ton cœur s'en soit laissé gagner.
Oui, j'ai brisé ses fers, j'ai corrompu ses gardes,
J'ai mis en sûreté tout ce que tu hasardes.
Il fuit, et tu n'as plus à traiter d'imposteur
De tes troubles secrets le redoutable auteur.
Il fuit, et tu n'as plus à craindre de tempête.
Secourant ta vertu, j'assure ta conquête ;
Et les soins que j'ai pris… Mais la reine survient.