ACTE IV - SCÈNE I



(Grimoald, Garibalde)

Garibalde
Je ne m'en dédis point, seigneur ; ce prompt retour
N'est qu'une illusion qu'on fait à votre amour.
Je ne l'ai vu que trop aux discours d'Édwige :
Comme sensiblement votre change l'afflige,
Et qu'avec le feu roi ce fourbe a du rapport,
Sa flamme au désespoir fait ce dernier effort.
Rodelinde, comme elle, aime à vous mettre en peine :
L'une sert son amour et l'autre sert sa haine ;
Ce que l'une produit, l'autre ose l'avouer,
Et leur inimitié s'accorde à vous jouer.
L'imposteur cependant, quoi qu'on lui donne à feindre,
Le soutient d'autant mieux qu'il ne voit rien à craindre ;
Car soit que ses discours puissent vous émouvoir
Jusqu'à rendre Édwige à son premier pouvoir ;
Soit que malgré sa fourbe et vaine et languissante,
Rodelinde sur vous reste toute-puissante,
À l'une ou l'autre enfin votre âme à l'abandon
Ne lui pourra jamais refuser ce pardon.

Grimoald
Tu dis vrai, Garibalde, et déjà je le donne
À qui voudra des deux partager ma couronne :
Non que j'espère encore amollir ce rocher,
Que ni respects ni vœux n'ont jamais su toucher.
Si j'aimai Rodelinde, et si pour n'aimer qu'elle,
Mon âme à qui m'aimait s'est rendue infidèle ;
Si d'éternels dédains, si d'éternels ennuis,
Les bravades, la haine, et le trouble où je suis,
Ont été jusqu'ici toute la récompense
De cet amour parjure où mon cœur se dispense,
Il est temps désormais que par un juste effort
J'affranchisse mon cœur de cet indigne sort.
Prenons l'occasion que nous fait Édwige :
Aimons cette imposture où son amour l'oblige.
Elle plaint un ingrat de tant de maux soufferts,
Et lui prête la main pour le tirer des fers.
Aimons, encore un coup, aimons son artifice,
Aimons-en le secours, et rendons-lui justice.
Soit qu'elle en veuille au trône ou n'en veuille qu'à moi,
Qu'elle aime Grimoald ou qu'elle aime le roi,
Qu'elle ait beaucoup d'amour ou beaucoup de courage,
Je dois tout à la main qui rompt mon esclavage.
Toi qui ne la servais qu'afin de m'obéir,
Qui tâchais par mon ordre à m'en faire haïr,
Duc, ne t'y force plus, et rends-moi ma parole :
Que je rende à ses feux tout ce que je leur vole,
Et que je puisse ainsi d'une même action
Récompenser sa flamme ou son ambition.

Garibalde
Je vous la rends, seigneur ; mais enfin prenez garde
À quels nouveaux périls cet effort vous hasarde,
Et si ce n'est point croire un peu trop promptement
L'impétueux transport d'un premier mouvement.
L'imposteur impuni passera pour monarque :
Tout le peuple en prendra votre bonté pour marque ;
Et comme il est ardent après la nouveauté,
Il s'imaginera son rang seul respecté.
Je sais bien qu'aussitôt votre haute vaillance
De ce peuple mutin domptera l'insolence ;
Mais tenez-vous fort sûr ce que vous prétendez
Du côté d'Édwige, à qui vous vous rendez ?
J'ai pénétré, seigneur, jusqu'au fond de son âme,
Où je n'ai vu pour vous aucun reste de flamme :
Sa haine seule agit, et cherche à vous ôter
Ce que tous vos désirs s'efforcent d'emporter.
Elle veut, il est vrai, vous rappeler vers elle ;
Mais pour faire à son tour l'ingrate et la cruelle,
Pour vous traiter de lâche, et vous rendre soudain
Parjure pour parjure et dédain pour dédain.
Elle veut que votre âme, esclave de la sienne,
Lui demande sa grâce, et jamais ne l'obtienne :
Ce sont ses mots exprès ; et pour vous punir mieux,
Elle me veut aimer, et m'aimer à vos yeux :
Elle me l'a promis.

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