ACTE TROISIÈME - Scène première



(ARLEQUIN, COLOMBINE.)

COLOMBINE(à part.)
Battons-lui toujours froid. Tous les diamants y sont, rien n'y manque, hors le portrait que M. Lélio a gardé. (À Arlequin.)
C'est un grand bonheur que vous ayez trouvé cela ; je vous rends la boîte ; il est juste que vous la donniez vous-même à Mme la comtesse. Adieu ; je suis pressée.

ARLEQUIN(l'arrêtant.)
Eh ! là, là, là ; ne vous en allez pas si vite ; je suis de si bonne humeur.

COLOMBINE
Je vous ai dit ce que je pensais de ma maîtresse à l'égard de votre maître. Bonjour.

ARLEQUIN
Eh bien ! dites à cette heure ce que vous pensez de moi ; eh ! eh ! eh !

COLOMBINE
Je pense de vous que vous m'ennuieriez si je restais plus longtemps.

ARLEQUIN
Fi ! la mauvaise pensée ! Causons pour chasser cela ; c'est une migraine.

COLOMBINE
Je n'ai pas le temps, monsieur Arlequin.

ARLEQUIN
Eh ! allons donc, faut-il avoir des manières comme cela avec moi ? Vous me traitez de monsieur ; cela est-il honnête ?

COLOMBINE
Très honnête : mais vous m'amusez ; laissez-moi. Que voulez-vous que je fasse ici !

ARLEQUIN
Me dire comment je me porte, par exemple ; me faire de petites questions : Arlequin par-ci, Arlequin par-là ; me demander, comme tantôt, si je vous aime ; que sait-on ? peut-être je vous répondrai qu'oui.

COLOMBINE
Oh ! je ne m'y fie plus.

ARLEQUIN
Si fait, si fait ; fiez-vous-y pour voir.

COLOMBINE
Non ; vous haïssez trop les femmes.

ARLEQUIN
Cela m'a passé ; je leur pardonne.

COLOMBINE
Et moi, à compter d'aujourd'hui, je me brouille avec les hommes. Dans un an ou deux, je me raccommoderai peut-être avec ces nigauds-là.

ARLEQUIN
Il faudra donc que je me tienne pendant ce temps-là les bras croisés à vous voir venir, moi ?

COLOMBINE
Voyez-moi venir dans la posture qu'il vous plaira ; que m'importe que vos bras soient croisés ou ne le soient pas ?

ARLEQUIN
Par la sambille ! j'enrage. Maudit esprit lunatique, que je te donnerais de grand cœur un bon coup de poing, si tu ne portais pas une cornette !

COLOMBINE(riant.)
Ah ! je vous entends. Vous m'aimez ; j'en suis fâchée, mon ami ; le ciel vous assiste !

ARLEQUIN
Mardi ! oui, je t'aime ; mais, laisse-moi faire. Tiens, mon chien d'amour s'en ira ; je m'étranglerais plutôt. Je m'en vais être ivrogne ; je jouerai à la boule toute la journée ; je prierai mon maître de m'apprendre le piquet ; je jouerai avec lui ou avec moi ; je dormirai plutôt que de rester sans rien faire. Tu verras, va ; je cours tirer bouteille pour commencer.

COLOMBINE
Tu mériterais que je te fisse expirer de pur chagrin, mais je suis généreuse. Tu as méprisé toutes les suivantes de France en ma personne ; je les représente. Il faut une réparation à cette insulte. À mon égard, je t'en quitterais volontiers ; mais je ne puis trahir les intérêts et l'honneur d'un corps si respectable pour toi. Fais-lui donc satisfaction ; demande-lui à genoux pardon de toutes tes impertinences, et ta grâce t'est accordée.

ARLEQUIN
M'aimeras-tu après cette autre impertinence-là ?

COLOMBINE
Humilie-toi, et tu seras instruit.

ARLEQUIN(se mettant à genoux.)
Pardi ! je le veux bien ; je demande pardon à ce drôle de corps pour qui tu parles.

COLOMBINE
En diras-tu du bien ?

ARLEQUIN
C'est une autre affaire ; il est défendu de mentir.

COLOMBINE
Point de grâce.

ARLEQUIN
Accommodons-nous. Je n'en dirai ni bien ni mal. Est-ce fait ?

COLOMBINE
Eh ! la réparation est un peu cavalière ; mais le corps n'est pas formaliste. Baise-moi la main en signe de paix, et lève-toi. Tu me parais vraiment repentant ; cela me fait plaisir.

ARLEQUIN
Tu m'aimeras, au moins !

COLOMBINE
Je l'espère.

ARLEQUIN(sautant.)
Je me sens plus léger qu'une plume.

COLOMBINE
Écoute, nous avons intérêt de hâter l'amour de nos maîtres ; il faut qu'ils se marient ensemble.

ARLEQUIN
Oui, afin que je t'épouse par-dessus le marché.

COLOMBINE
Tu l'as dit ; n'oublions rien pour les conduire à s'avouer qu'ils s'aiment. Quand tu rendras la boîte à la comtesse, ne manque pas de lui dire pourquoi ton maître en garde le portrait. Je la vois qui rêve ; retire-toi, et reviens dans un moment, de peur qu'en nous voyant ensemble, elle ne nous soupçonne d'intelligence. J'ai dessein de la faire parler ; je veux qu'elle sache qu'elle aime ; son amour en ira mieux, quand elle se l'avouera.
(Arlequin sort.)

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