(ARLEQUIN, COLOMBINE.)COLOMBINE(à part.) Battons-lui toujours froid. Tous les diamants y sont, rien n'y manque, hors le portrait que M. Lélio a gardé.
(À Arlequin.) C'est un grand bonheur que vous ayez trouvé cela ; je vous rends la boîte ; il est juste que vous la donniez vous-même à Mme la comtesse. Adieu ; je suis pressée.
ARLEQUIN(l'arrêtant.) Eh ! là, là, là ; ne vous en allez pas si vite ; je suis de si bonne humeur.
COLOMBINEJe vous ai dit ce que je pensais de ma maîtresse à l'égard de votre maître. Bonjour.
ARLEQUINEh bien ! dites à cette heure ce que vous pensez de moi ; eh ! eh ! eh !
COLOMBINEJe pense de vous que vous m'ennuieriez si je restais plus longtemps.
ARLEQUINFi ! la mauvaise pensée ! Causons pour chasser cela ; c'est une migraine.
COLOMBINEJe n'ai pas le temps, monsieur Arlequin.
ARLEQUINEh ! allons donc, faut-il avoir des manières comme cela avec moi ? Vous me traitez de monsieur ; cela est-il honnête ?
COLOMBINETrès honnête : mais vous m'amusez ; laissez-moi. Que voulez-vous que je fasse ici !
ARLEQUINMe dire comment je me porte, par exemple ; me faire de
petites questions : Arlequin par-ci, Arlequin par-là ; me demander, comme tantôt, si je vous aime ; que sait-on ? peut-être je vous répondrai qu'oui.
COLOMBINEOh ! je ne m'y fie plus.
ARLEQUINSi fait, si fait ; fiez-vous-y pour voir.
COLOMBINENon ; vous haïssez trop les femmes.
ARLEQUINCela m'a passé ; je leur pardonne.
COLOMBINEEt moi, à compter d'aujourd'hui, je me brouille avec les hommes. Dans un an ou deux, je me raccommoderai peut-être avec ces nigauds-là.
ARLEQUINIl faudra donc que je me tienne pendant ce temps-là les bras croisés à vous voir venir, moi ?
COLOMBINEVoyez-moi venir dans la posture qu'il vous plaira ; que m'importe que vos bras soient croisés ou ne le soient pas ?
ARLEQUINPar la sambille ! j'enrage. Maudit esprit lunatique, que je te donnerais de grand cœur un bon coup de poing, si tu ne portais pas une cornette !
COLOMBINE(riant.) Ah ! je vous entends. Vous m'aimez ; j'en suis fâchée, mon ami ; le ciel vous assiste !
ARLEQUINMardi ! oui, je t'aime ; mais, laisse-moi faire. Tiens, mon chien d'amour s'en ira ; je m'étranglerais plutôt. Je m'en vais être ivrogne ; je jouerai à la boule toute la journée ; je prierai mon maître de m'apprendre le piquet ; je jouerai avec lui ou avec moi ; je dormirai plutôt que de rester sans rien faire. Tu verras, va ; je cours tirer bouteille pour commencer.
COLOMBINETu mériterais que je te fisse expirer de pur chagrin, mais je suis généreuse. Tu as méprisé toutes les suivantes de France en ma personne ; je les représente. Il faut une réparation à cette insulte. À mon égard, je t'en quitterais volontiers ; mais je ne puis trahir les intérêts et l'honneur d'un corps si respectable pour toi. Fais-lui donc satisfaction ; demande-lui à genoux pardon de toutes tes impertinences, et ta grâce t'est accordée.
ARLEQUINM'aimeras-tu après cette autre impertinence-là ?
COLOMBINEHumilie-toi, et tu seras instruit.
ARLEQUIN(se mettant à genoux.) Pardi ! je le veux bien ; je demande pardon à ce drôle de corps pour qui tu parles.
COLOMBINEEn diras-tu du bien ?
ARLEQUINC'est une autre affaire ; il est défendu de mentir.
COLOMBINEPoint de grâce.
ARLEQUINAccommodons-nous. Je n'en dirai ni bien ni mal. Est-ce fait ?
COLOMBINEEh ! la réparation est un peu cavalière ; mais le corps n'est pas formaliste. Baise-moi la main en signe de paix, et lève-toi. Tu me parais vraiment repentant ; cela me fait plaisir.
ARLEQUINTu m'aimeras, au moins !
COLOMBINEJe l'espère.
ARLEQUIN(sautant.) Je me sens plus léger qu'une plume.
COLOMBINEÉcoute, nous avons intérêt de hâter l'amour de nos maîtres ; il faut qu'ils se marient ensemble.
ARLEQUINOui, afin que je t'épouse par-dessus le marché.
COLOMBINETu l'as dit ; n'oublions rien pour les conduire à s'avouer qu'ils s'aiment. Quand tu rendras la boîte à la comtesse, ne manque pas de lui dire pourquoi ton maître en garde le portrait. Je la vois qui rêve ; retire-toi, et reviens dans un moment, de peur qu'en nous voyant ensemble, elle ne nous soupçonne d'intelligence. J'ai dessein de la faire parler ; je veux qu'elle sache qu'elle aime ; son amour en ira mieux, quand elle se l'avouera.
(Arlequin sort.)