ACTE TROISIÈME - Scène IV
(LÉLIO, COLOMBINE, ARLEQUIN.)
ARLEQUIN
Son cœur va-t-il bien ?
COLOMBINE
Oh ! je te réponds qu'il va grand train. Mais voici ton maître ; laisse-moi faire.
LÉLIO
Colombine, où est Mme la comtesse ? je souhaiterais lui parler.
COLOMBINE
Mme la comtesse va, je pense, partir tout à l'heure pour Paris.
LÉLIO
Quoi ! sans me voir ? sans me l'avoir dit ?
COLOMBINE
C'est bien à vous à voir cela ! N'avez-vous pas dessein de vivre en sauvage ? De quoi vous plaignez-vous ?
LÉLIO
De quoi je me plains ? La question est singulière, mademoiselle Colombine ! Voilà donc le penchant que vous lui connaissiez pour moi ! Partir sans me dire adieu ! Et vous voulez que je sois un homme de bon sens, et que je m'accommode de cela, moi ! Non, les procédés bizarres me révolteront toujours.
COLOMBINE
Si elle ne vous a pas dit adieu, c'est qu'entre amis on en agit sans façon.
LÉLIO
Amis ! oh ! doucement ; je veux du vrai dans mes amis, des manières franches et stables, et je n'en trouve point là. Dorénavant je ferai mieux de n'être ami de personne ; car je vois bien qu'il n'y a que du faux partout.
COLOMBINE
Lui ferai-je vos compliments ?
ARLEQUIN
Cela sera honnête.
LÉLIO
Et moi, je ne suis point aujourd'hui dans le goût d'être honnête ; je suis las de la bagatelle.
COLOMBINE
Je vois bien que je ne ferai rien par la feinte ; il vaut mieux vous parler franchement. Monsieur, Mme la comtesse ne part pas ; elle attend, pour se déterminer, qu'elle sache si vous l'aimez ou non ; mais dites-moi naturellement vous-même ce qui en est ; c'est le plus court.
LÉLIO
C'est le plus court, il est vrai ; mais j'y trouve pourtant de la difficulté ; car enfin, dirai-je que je ne l'aime pas ?
COLOMBINE
Oui, si vous le pensez.
LÉLIO
Mais Mme la comtesse est aimable, et ce serait une grossièreté.
ARLEQUIN
Tirez votre réponse à la courte paille.
COLOMBINE
Eh bien ! dites que vous l'aimez.
LÉLIO
Mais, en vérité, c'est une tyrannie que cette alternative-là. Si je vais dire que je l'aime, cela dérangera peut-être Mme la comtesse ; cela la fera partir. Si je dis que je ne l'aime point…
COLOMBINE
Peut-être aussi partira-t-elle.
LÉLIO
Vous voyez donc bien que cela est embarrassant.
COLOMBINE
Adieu, je vous entends ; je lui rendrai compte de votre indifférence, n'est-ce pas ?
LÉLIO
Mon indifférence ! voilà un beau rapport, et cela me ferait un joli cavalier ! Vous décidez bien cela à la légère. En savez-vous plus que moi ?
COLOMBINE
Déterminez-vous donc.
LÉLIO
Vous me mettez dans une désagréable situation. Dites-lui que je suis plein d'estime, de considération et de respect pour elle.
ARLEQUIN
Discours de Normands que tout cela.
COLOMBINE
Vous me faites pitié.
LÉLIO
Qui, moi ?
COLOMBINE
Oui, et vous êtes un étrange homme de ne m'avoir pas confié que vous l'aimiez.
LÉLIO
Eh ! Colombine, le savais-je ?
ARLEQUIN
Ce n'est pas ma faute, je vous en avais averti.
LÉLIO
Je ne sais où je suis.
COLOMBINE
Ah ! vous voilà dans le ton ; songez à dire toujours de même ; entendez-vous, monsieur de l'ermitage ?
LÉLIO
Que signifie cela ?
COLOMBINE
Rien ; sinon que je vous ai donné la question, et que vous avez jasé dans vos souffrances. Tenez- vous gai, l'homme indifférent ; tout ira bien. Arlequin, je te le recommande ; instruis-le plus amplement : je vais chercher l'autre.