ACTE PREMIER - Scène III



(LÉLIO, JACQUELINE, PIERRE.)

LÉLIO
Que me veux-tu, Jacqueline ?

JACQUELINE
Monsieur, c'est que je voulions vous parler d'une petite affaire.

LÉLIO
De quoi s'agit-il ?

JACQUELINE
C'est que, ne vous déplaise… Mais vous vous fâcherez.

LÉLIO
Voyons.

JACQUELINE
Monsieur, vous avez dit, il y a queuque temps, que vous ne vouliez pas que j'eussions des galants.

LÉLIO
Non ; je ne veux point voir d'amour dans ma maison.

JACQUELINE
Je vians pourtant vous demander un petit parvilége.

LÉLIO
Quel est-il ?

JACQUELINE
C'est que, révérence parler, j'avons le cœur tendre.

LÉLIO
Tu as le cœur tendre ? voilà un plaisant aveu ! Et qui est le nigaud qui est amoureux de toi ?

PIERRE
Eh ! eh ! eh ! c'est moi, monsieur.

LÉLIO
Ah, c'est toi, maître Pierre ? je t'aurais cru plus raisonnable. Eh bien ! Jacqueline, c'est donc pour lui que tu as le cœur tendre ?

JACQUELINE
Oui, monsieur, il y a bien deux ans en çà que ça m'est venu… Mais, dis toi-même ; je ne sis pas assez effrontée de mon naturel.

PIERRE
Monsieur, franchement, c'est qu'alle me trouve gentil ; et si ce n'était qu'alle fait la difficile, il y aurait longtemps que je serions ennocés.

LÉLIO
Tu es fou, maître Pierre, ta Jacqueline au premier jour te plantera là ; crois-moi, ne t'attache point à elle. Laisse-la là, tu cherches ton malheur.

JACQUELINE
Bon ! voilà de biaux contes qu'vous li faites là, monsieur ! Est-ce que vous croyez que je sommes comme vos girouettes de Paris, qui tournent à tout vent ? Allez, allez ! si queuqu'un de nous deux se plante là, ce sera li qui me plantera, et non pas moi. À tout hasard, notre monsieur, donnez-moi tant seulement une petite parmission de mariage ; c'est pour ça que j'avons prins la liberté de vous attaquer.

PIERRE
Oui ; voilà tout fin dret ce que c'est, et Jacqueline a itou queuque doutance que vous vourez bian de votre grâce, et pour l'amour de son sarvice, et de sti-là de son père et de sa mère, qui vous ont tant sarvi quand ils n'étiont pas encore défunts… Tant y a, monsieur… excusez l'importunance… c'est que je sommes pauvres ; et tout franchement, pour vous le couper court…

LÉLIO
Achève donc, il y a une heure que tu traînes.

JACQUELINE
Parguenne ! aussi tu t'embrouilles dans je ne sais combien de paroles qui ne sarvont de rian, et monsieur pard la patience. C'est donc, ne vous en déplaise, que je voulons nous marier ; et, comme ce dit l'autre, ce n'est pas le tout qu'un pourpoint, s'il n'y a des manches ; c'est ce qui fait, si vous parmettez que je vous le disions en bref…

LÉLIO
Eh ! non, Jacqueline, dis-moi-le en long, tu auras plus tôt fait.

JACQUELINE
C'est que j'avons queuque espérance que vous nous baillerez queuque chose en entrée de ménage.

LÉLIO
Soit, je le veux. Nous verrons cela une autre fois ; et je ferai ce que je pourrai, pourvu que le parti te convienne. Laissez-moi.

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