La Surprise de l'Amour
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ACTE DEUXIÈME - Scène III

Marivaux

ACTE DEUXIÈME - Scène III


(ARLEQUIN, COLOMBINE.)

ARLEQUIN
J'ai bien affaire, moi, d'être honnête à mes dépens !

COLOMBINE
Et que crains-tu ? Tu ne m'aimes point, tu ne veux point m'aimer.

ARLEQUIN
Non, je ne veux point t'aimer ; mais je n'ai que faire de prendre la peine de m'empêcher de le vouloir.

COLOMBINE
Tu m'aimerais donc, si tu ne t'en empêchais ?

ARLEQUIN
Laissez-moi en repos, mademoiselle Colombine. Promenez-vous d'un côté, et moi d'un autre ; sinon, je m'enfuirai, car je réponds tout de travers.

COLOMBINE
Puisqu'on ne peut avoir l'honneur de ta compagnie qu'à ce prix-là, je le veux bien ; promenons- nous. (À part, en se promenant, comme Arlequin fait de son côté.)
Tout en badinant, cependant, me voilà dans la fantaisie d'être aimée de ce petit corps-là.

ARLEQUIN(déconcerté, et se promenant de son côté.)
C'est une malédiction que cet amour ; il m'a tourmenté quand j'en avais, et il me fait encore du mal à cette heure que je n'en veux point. Il faut prendre patience et faire bonne mine. (Il chante.)

COLOMBINE(l'arrêtant.)
Mais vraiment, tu as la voix belle. Sais-tu la musique ?

ARLEQUIN(s'arrêtant aussi.)
Oui, je commence à lire les paroles.
(Il chante de nouveau.)

COLOMBINE(continuant de se promener.)
Peste soit du petit coquin ! Sérieusement, je crois qu'il me pique.

ARLEQUIN
Elle me regarde ; elle voit bien que je fais semblant de ne pas songer à elle.

COLOMBINE
Arlequin ?

ARLEQUIN
Hum !

COLOMBINE
Je commence à me lasser de la promenade.

ARLEQUIN
Cela se peut bien.

COLOMBINE
Comment te va le cœur ?

ARLEQUIN
Ah ! je ne prends pas garde à cela.

COLOMBINE
Gageons que tu m'aimes ?

ARLEQUIN
Je ne gage jamais ; je suis trop malheureux, je perds toujours.

COLOMBINE
Oh ! tu m'ennuies ; je veux que tu me dises franchement que tu m'aimes.

ARLEQUIN
Encore un petit tour de promenade.

COLOMBINE
Non ; parle, ou je te hais.

ARLEQUIN
Et que t'ai-je fait pour me haïr ?

COLOMBINE
Savez-vous bien, monsieur le butor, que je vous trouve à mon gré, et qu'il faut que vous soupiriez pour moi ?

ARLEQUIN
Je te plais donc ?

COLOMBINE
Oui ; ta petite figure me revient assez.

ARLEQUIN
Je suis perdu, j'étouffe ; adieu m'amie ; sauve qui peut… Ah ! monsieur, vous voilà ?


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