ACTE CINQUIÈME - Scène XIX
(TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, LA COMTESSE SORT DE L'AUTRE PAVILLON.)
LA COMTESSE(se jette à genoux.)
Au moins je ferai nombre.
LE COMTE(regardant la Comtesse et Suzanne.)
Ah ! qu'est-ce que je vois ?
BRID'OISON(riant.)
Eh ! pardi, c'è-est madame.
LE COMTE(veut relever la comtesse.)
Quoi ! c'était vous, comtesse ?(D'un ton suppliant.)
Il n'y a qu'un pardon bien généreux…
LA COMTESSE( en riant.)
Vous diriez Non, non, à ma place ; et moi, pour la troisième fois d'aujourd'hui, je l'accorde sans condition.
(Elle se relève.)
SUZANNE(se relève.)
Moi aussi.
MARCELINE(se relève.)
Moi aussi.
FIGARO(se relève.)
Moi aussi. Il y a de l'écho ici !
(Tous se relèvent.)
LE COMTE
De l'écho ! — J'ai voulu ruser avec eux ; ils m'ont traité comme un enfant !
LA COMTESSE( en riant.)
Ne le regrettez pas, monsieur le comte.
FIGARO(s'essuyant les genoux avec son chapeau.)
Une petite journée comme celle-ci forme bien un ambassadeur !
LE COMTE(à Suzanne.)
Ce billet fermé d'une épingle ?…
SUZANNE
C'est madame qui l'avait dicté.
LE COMTE
La réponse lui en est bien due.
(Il baise la main de la comtesse.)
LA COMTESSE
Chacun aura ce qui lui appartient.
(Elle donne la bourse à Figaro et le diamant à Suzanne.)
SUZANNE(à Figaro.)
Encore une dot !
FIGARO( frappant la bourse dans sa main.)
Et de trois. Celle-ci fut rude à arracher !
SUZANNE
Comme notre mariage.
GRIPPE-SOLEIL
Et la jarretière de la mariée, l'aurons-je ?
LA COMTESSE(arrache le ruban qu'elle a tant gardé dans son sein et le jette à terre.)
La jarretière ? Elle était avec ses habits : la voilà.
(Les garçons de la noce veulent la ramasser.)
CHÉRUBIN(plus alerte, court la prendre, et dit :)
Que celui qui la veut vienne me la disputer !
LE COMTE( en riant, au page.)
Pour un monsieur si chatouilleux, qu'avez-vous trouvé de gai à certain soufflet de tantôt ?
CHÉRUBIN(recule en tirant à moitié son épée.)
À moi, mon colonel ?
FIGARO(avec une colère comique.)
C'est sur ma joue qu'il l'a reçu : voilà comme les grands font justice !
LE COMTE(riant.)
C'est sur sa joue ? Ah ! ah ! ah ! qu'en dites-vous donc, ma chère comtesse ?
LA COMTESSE(absorbée, revient à elle et dit avec sensibilité :)
Ah ! oui, cher comte, et pour la vie, sans distraction, je vous le jure.
LE COMTE(frappant sur l'épaule du juge.)
Et vous, don Brid'oison, votre avis maintenant ?
BRID'OISON
Su-ur tout ce que je vois, monsieur Le comte ?… Ma-a foi, pour moi, je-e ne sais que vous dire : voilà ma façon de penser.
TOUS ENSEMBLE
Bien jugé !
FIGARO
J'étais pauvre, on me méprisait. J'ai montré quelque esprit, la haine est accourue. Une jolie femme et de la fortune…
BARTHOLO(en riant.)
Les cœurs vont te revenir en foule.
FIGARO
Est-il possible ?
BARTHOLO
Je les connais.
FIGARO(saluant les spectateurs.)
Ma femme et mon bien mis à part, tous me feront honneur et plaisir.
(On joue la ritournelle du vaudeville.VAUDEVILLE)
BASILE(Premier couplet.)
Triple dot, femme superbe, Que de biens pour un époux ! D'un seigneur, d'un page imberbe, Quelque sot serait jaloux. Du latin d'un vieux proverbe L'homme adroit fait son parti.
FIGARO
Je le sais…(Il chante.)
Gaudeant bene nati !
BASILE
Non…(Il chante.)
Gaudeant bene nanti !
SUZANNE(Deuxième couplet.)
Qu'un mari sa foi trahisse, Il s'en vante, et chacun rit ; Que sa femme ait un caprice, S'il l'accuse, on la punit. De cette absurde injustice Faut-il dire le pourquoi ? Les plus forts ont fait la loi. (Bis.)
FIGARO(Troisième couplet.)
Jean Jeannot, jaloux risible, Veut unir femme et repos ; Il achète un chien terrible, Et le lâche en son enclos. La nuit, quel vacarme horrible ! Le chien court, tout est mordu, Hors l'amant qui l'a vendu. (Bis.)
LA COMTESSE(Quatrième couplet.)
Telle est fière et répond d'elle, Qui n'aime plus son mari ; Telle autre, presque infidèle, Jure de n'aimer que lui. La moins folle, hélas ! est celle Qui se veille en son lien, Sans oser jurer de rien. (Bis.)
LE COMTE(Cinquième couplet.)
D'une femme de province, À qui ses devoirs sont chers, Le succès est assez mince ; Vive la femme aux bons airs ! Semblable à l'écu du prince, Sous le coin d'un seul époux, Elle sert au bien de tous. (Bis)
MARCELINE(Sixième couplet.)
Chacun sait la tendre mère Dont il a reçu le jour ; Tout le reste est un mystère, C'est le secret de l'amour.
FIGARO(continue l'air.)
Ce secret met en lumière Comment le fils d'un butor Vaut souvent son pesant d'or. (Bis.Septième couplet.)
Par le sort de la naissance, L'un est roi, l'autre est berger ; Le hasard fit leur distance ; L'esprit seul peut tout changer. De vingt rois que l'on encense, Le trépas brise l'autel ; Et Voltaire est immortel. (Bis.)
CHÉRUBIN(Huitième couplet.)
Sexe aimé, sexe volage, Qui tourmentez nos beaux jours, Si de vous chacun dit rage, Chacun vous revient toujours. Le parterre est votre image : Tel paraît le dédaigner, Qui fait tout pour le gagner. (Bis.)
SUZANNE(Neuvième couplet.)
Si ce gai, ce fol ouvrage, Renfermait quelque leçon, En faveur du badinage Faites grâce à la raison. Ainsi la nature sage Nous conduit, dans nos désirs, À son but par les plaisirs. (Bis.)
BRID'OISON(Dixième couplet.)
Or, messieurs, la co-omédie, Que l'on juge en cè-et instant, Sauf erreur, nous pein-eint la vie Du bon peuple qui l'entend. Qu'on l'opprime, il peste, il crie, Il s'agite en cent fa-açons ; Tout fini-it par des chansons. (Bis.Ballet général.FIN)