(Le théâtre représente une galerie ornée de candélabres, de lustres allumés, de fleurs, de guirlandes, en un mot, préparée pour donner une fête. Sur le devant, à droite, est une table avec une écritoire ; un fauteuil derrière.)
(FIGARO, SUZANNE.)
FIGARO(la tenant à bras-le-corps.)
Eh bien ! amour, es-tu contente ? Elle a converti son docteur, cette fine langue dorée de ma mère ! Malgré sa répugnance, il l'épouse, et ton bourru d'oncle est bridé ; il n'y a que monseigneur qui rage, car enfin notre hymen va devenir le prix du leur. Ris donc un peu de ce bon résultat.
SUZANNE
As-tu rien vu de plus étrange ?
FIGARO
Ou plutôt d'aussi gai. Nous ne voulions qu'une dot arrachée à l'Excellence ; en voilà deux dans nos mains, qui ne sortent pas des siennes. Une rivale acharnée te poursuivait ; j'étais tourmenté par une furie ! tout cela s'est changé, pour nous, dans la plus bonne des mères. Hier, j'étais comme seul au monde, et voilà que j'ai tous mes parents ; pas si magnifiques, il est vrai, que je me les étais galonnés, mais assez bien pour nous, qui n'avons pas la vanité des riches.
SUZANNE
Aucune des choses que tu avais disposées, que nous attendions, mon ami, n'est pourtant arrivée !
FIGARO
Le hasard a mieux fait que nous tous, ma petite. Ainsi va le monde ; on travaille, on projette, on arrange d'un côté ; la fortune accomplit de l'autre : et, depuis l'affamé conquérant qui voudrait avaler la terre, jusqu'au paisible aveugle qui se laisse mener par son chien, tous sont le jouet de ses caprices ; encore l'aveugle au chien est-il souvent mieux conduit, moins trompé dans ses vues, que l'autre aveugle avec son entourage. — Pour cet aimable aveugle qu'on nomme Amour…
(Il la reprend tendrement à bras-le-corps.)
SUZANNE
Ah ! c'est le seul qui m'intéresse !
FIGARO
Permets donc que, prenant l'emploi de la Folie, je sois le bon chien qui le mène à ta jolie mignonne porte ; et nous voilà logés pour la vie.
SUZANNE(riant.)
L'Amour et toi ?
FIGARO
Moi et l'Amour.
SUZANNE
Et vous ne chercherez pas d'autre gîte ?
FIGARO
Si tu m'y prends, je veux bien que mille millions de galants…
SUZANNE
Tu vas exagérer : dis ta bonne vérité.
FIGARO
Ma vérité la plus vraie !
SUZANNE
Fi donc, vilain ! en a-t-on plusieurs ?
FIGARO
Oh ! que oui. Depuis qu'on a remarqué qu'avec le temps vieilles folies deviennent sagesse, et qu'anciens petits mensonges assez mal plantés ont produit de grosses, grosses vérités, on en a de mille espèces. Et celles qu'on sait, sans oser les divulguer : car toute vérité n'est pas bonne à dire ; et celles qu'on vante, sans y ajouter foi : car toute vérité n'est pas bonne à croire ; et les serments passionnés, les menaces des mères, les protestations des buveurs, les promesses des gens en place, le dernier mot de nos marchands : cela ne finit pas. Il n'y a que mon amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi.
SUZANNE
J'aime ta joie, parce qu'elle est folle ; elle annonce que tu es heureux. Parlons du rendez-vous du comte.
FIGARO
Ou plutôt n'en parlons jamais ; il a failli me coûter Suzanne.
SUZANNE
Tu ne veux donc plus qu'il ait lieu ?
FIGARO
Si vous m'aimez, Suzon, votre parole d'honneur sur ce point : qu'il s'y morfonde, et c'est sa punition.
SUZANNE
Il m'en a plus coûté de l'accorder que je n'ai de peine à le rompre : il n'en sera plus question.
FIGARO
Ta bonne vérité ?
SUZANNE
Je ne suis pas comme vous autres savants, moi ; je n'en ai qu'une.
FIGARO
Et tu m'aimeras un peu ?
SUZANNE
Beaucoup.
FIGARO
Ce n'est guère.
SUZANNE
Et comment ?
FIGARO
En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.
SUZANNE
Je n'entends pas toutes ces finesses, mais je n'aimerai que mon mari.
FIGARO
Tiens parole, et tu feras une belle exception à l'usage.
(Il veut l'embrasser.)
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