(Le théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcôve, une estrade au-devant. La porte pour entrer s'ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite ; celle d'un cabinet, à la première coulisse à gauche. Une porte, dans le fond, va chez les femmes. Une fenêtre s'ouvre de l'autre côté.)
(SUZANNE ; LA COMTESSE ENTRE PAR LA PORTE À DROITE.)LA COMTESSE(se jette dans une bergère.) Ferme la porte, Suzanne et conte-moi tout dans le plus grand détail.
SUZANNEJe n'ai rien caché à madame.
LA COMTESSEQuoi ! Suzon, il voulait te séduire ?
SUZANNEOh ! que non ! monseigneur n'y met pas tant de façon avec sa servante : il voulait m'acheter.
LA COMTESSEEt le petit page était présent ?
SUZANNEC'est-à-dire caché derrière le grand fauteuil. Il venait me prier de vous demander sa grâce.
LA COMTESSEHé ! pourquoi ne pas s'adresser à moi-même ? Est-ce que je l'aurais refusé, Suzon ?
SUZANNEC'est ce que j'ai dit : mais ses regrets de partir, et surtout de quitter madame ! Ah ! Suzon, qu'elle est noble et belle ! mais qu'elle est imposante !
LA COMTESSEEst-ce que j'ai cet air-là, Suzon ? Moi qui l'ai toujours protégé.
SUZANNEPuis il a vu votre ruban de nuit que je tenais ; il s'est jeté dessus…
LA COMTESSE(souriant.) Mon ruban ?… Quelle enfance !
SUZANNEJ'ai voulu le lui ôter ; madame, c'était un lion ; ses yeux brillaient… Tu ne l'auras qu'avec ma vie, disait-il en forçant sa petite voix douce et grêle.
LA COMTESSE(rêvant.) Eh bien, Suzon ?
SUZANNEEh bien, madame, est-ce qu'on peut faire finir ce petit démon-là ? Ma marraine par-ci ; je voudrais bien par l'autre ; et parce qu'il n'oserait seulement baiser la robe de madame, il voudrait toujours m'embrasser, moi.
LA COMTESSE(rêvant.) Laissons… laissons ces folies… Enfin, ma pauvre Suzanne. mon époux a fini par te dire…
SUZANNEQue si je ne voulais pas l'entendre, il allait protéger Marceline.
LA COMTESSE(se lève et se promène, en se servant fortement de l'éventail.) Il ne m'aime plus du tout.
SUZANNEPourquoi tant de jalousie ?
LA COMTESSEComme tous les maris, ma chère ! uniquement par orgueil. Ah ! je l'ai trop aimé ; je l'ai lassé de mes tendresses et fatigué de mon amour : voilà mon seul tort avec lui ; mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider : viendra-t-il ?
SUZANNEDès qu'il verra partir la chasse.
LA COMTESSE(se servant de l'éventail.) Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici !…
SUZANNEC'est que madame parle et marche avec action.
(Elle va ouvrir la croisée du fond.)LA COMTESSE(rêvant longtemps.) Sans cette constance à me fuir… Les hommes sont bien coupables !
SUZANNE(crie, de la fenêtre.) Ah ! voilà monseigneur qui traverse à cheval le grand potager, suivi de Pédrille, avec deux, trois, quatre lévriers.
LA COMTESSENous avons du temps devant nous.
(Elle s'assied.) On frappe, Suzon !
SUZANNE(court ouvrir en chantant.) Ah ! c'est mon Figaro.! ah ! c'est mon Figaro.!