PROLOGUE - Scène V



(L'HYMÉNÉE, LA PAIX, LA FRANCE, LA VICTOIRE.)

La France (à la Paix.)
Adorable souhait des peuples gémissants,
Féconde sûreté des travaux innocents,
Infatigable appui du pouvoir légitime,
Qui dissipez le trouble et détruisez le crime,
Protectrice des arts, mère des beaux loisirs.
Est-ce une illusion qui flatte mes désirs ?
Puis-je en croire mes yeux, et dans chaque province
De votre heureux retour faire bénir mon prince ?

La Paix
France, aprends que lui-même il aime à le devoir
À ces yeux dont tu vois le souverain pouvoir.
Par un effort d'amour réponds à leurs miracles ;
Fais éclater ta joie en de pompeux spectacles :
Ton théâtre a souvent d'assez riches couleurs
Pour n'avoir pas besoin d'emprunter rien ailleurs,
Ose donc, et fais voir que ta reconnoissance…

La France
De grâce, voyez mieux quelle est mon impuissance.
Est-il effort humain qui jamais ait tiré
Des spectacles pompeux d'un sein si déchiré ?
Il faudroit que vos soins par le cours des années…

L'Hyménée
Ces traits divins n'ont pas de forces si bornées.
Mes roses et mes lis par eux en un moment
À ces lieux désolés vont servir d'ornement.
Promets, et tu verras l'effet de ma parole.

La France
J'entreprendrai beaucoup ; mais ce qui m'en console
C'est que sous votre aveu…

L'Hyménée
Va, n'appréhende rien :
Nous serons à l'envi nous-mêmes ton soutien.
Porte sur ton théâtre une chaleur si belle,
Que des plus heureux temps l'éclat s'y renouvelle :
Nous en partagerons la gloire et le souci.

La Victoire
Cependant la Victoire est inutile ici :
Puisque la paix y règne, il faut qu'elle s'exile.

La Paix
Non, Victoire : avec moi tu n'es pas inutile.
Si la France en repos n'a plus ou t'employer,
Du moins à ses amis elle peut t'envoyer.
D'ailleurs mon plus grand calme aime l'inquiétude
Des combats de prudence, et des combats d'étude ;
Il ouvre un champ plus large à ces guerres d'esprits ;
Tous les peuples sans cesse en disputent le prix ;
Et comme il fait monter à la plus haute gloire,
Il est bon que la France ait toujours la Victoire.
Fais-lui donc cette grâce, et prends part comme nous
À ce qu'auront d'heureux des spectacles si doux.

La Victoire
J'y consens, et m'arrête aux rives de la Seine,
Pour rendre un long hommage à l'une et l'autre reine,
Pour y prendre à jamais les ordres de son roi.
Puissé-je en obtenir, pour mon premier emploi,
Ceux d'aller jusqu'aux bouts de ce vaste hémisphère
Arborer les drapeaux de son généreux frère,
D'aller d'un si grand prince, en mille et mille lieux,
Égaler le grand nom au nom de ses aïeux,
Le conduire au delà de leurs fameuses traces,
Faire un appui de Mars du favori des Grâces,
Et sous d'autres climats couronner ses hauts faits
Des lauriers qu'en ceux-ci lui dérobe la Paix !

L'Hyménée
Tu vas voir davantage, et les Dieux, qui m'ordonnent
Qu'attendant tes lauriers mes myrtes le couronnent,
Lui vont donner un prix de toute autre valeur
Que ceux que tu promets avec tant de chaleur.
Cette illustre conquête a pour lui plus de charmes
Que celles que tu veux assurer à ses armes ;
Et son œil, éclairé par mon sacré flambeau,
Ne voit point de trophée ou si noble ou si beau.
Ainsi, France, à l'envi l'Espagne et l'Angleterre
Aiment à t'enrichir quand tu finis la guerre
Et la paix, qui succède à ses tristes efforts,
Te livre par ma main leurs plus rares trésors.

La Paix
Allons sans plus tarder mettre ordre à tes spectacles ;
Et pour les commencer par de nouveaux miracles,
Toi que rend tout-puissant ce chef-d'œuvre des cieux,
Hymen, fais-lui changer la face de ces lieux.

L'Hyménée (seul.)
Naissez à cet aspect, fontaines, fleurs, bocages ;
Chassez de ces débris les funestes images,
Et formez des jardins tels qu'avec quatre mots
Le grand art de Médée en fit naître à Colchos.
(Tout le théâtre se change en un jardin magnifique à la vue du portrait de la Reine, que l'Hyménée lui présente.)
(FIN DU PROLOGUE.)

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