ACTE V - Scène IV



(AÆTE, ABSYRTE, HYPSIPYLE, MÉDÉE, JASON, ORPHÉE, ZÉTHÈS, CALAÏS.)

Médée (sur le dragon, élevée en l'air a la hauteur d'un homme.)
Arrête, déloyal, et laisse-moi parler :
Que je rende un plein lustre à ma gloire ternie
Par l'outrageux éclat que fait la calomnie.
Qui vous l'a dit, Madame, et sur quoi fondez-vous
Ces dignes visions de votre esprit jaloux ?
Si Jason entre nous met quelque différence
Qui flatte malgré moi sa crédule espérance,
Faut-il sur votre exemple aussitôt présumer
Qu'on n'en peut être aimée et ne le pas aimer ?
Connoissez mieux Médée, et croyez-la trop vaine
Pour vouloir d'un captif marqué d'une autre chaîne.
Je ne puis empêcher qu'il vous manque de foi,
Mais je vaux bien un cœur qui n'ait aimé que moi ;
Et j'aurai soutenu des revers bien funestes
Avant que je me daigne enrichir de vos restes.

Hypsipyle
Puissiez-vous conserver ces nobles sentiments !

Médée
N'en croyez plus, Seigneur, que les événements.
Ce ne sont plus ici ces taureaux, ces gensdarmes
Contre qui son audace a pu trouver des charmes :
Ce n'est point le dragon dont il est menacé ;
C'est Médée elle-même, et tout l'art de Circé.
Fidèle gardien des destins de ton maître,
Arbre, que tout exprès mon charme avoit fait naître,
Tu nous défendrois mal contre ceux de Jason ;
Retourne en ton néant, et rends-moi la toison.
(Elle prend la toison en sa main, et la met sur le col du dragon. L'arbre où elle étoit suspendue disparoît, et se retire derrière le théâtre, après quoi Médée continue en parlant à Jason.)
Ce n'est qu'avec le jour qu'elle peut m'être ôtée.
Viens donc, viens, téméraire, elle est à ta portée ;
Viens teindre de mon sang cet or qui t'est si cher,
Qu'à travers tant de mers on te force à chercher.
Approche, il n'est plus temps que l'amour te retienne :
Viens m'arracher la vie, ou m'apporter la tienne ;
Et sans perdre un moment en de vains entretiens,
Voyons qui peut le plus de tes dieux ou des miens.

Aæte
À ce digne courroux je reconnois ma fille :
C'est mon sang dans ses yeux, c'est son aïeul qui brille ;
C'est le Soleil mon père. Avancez donc, Jason,
Et sur cette ennemie emportez la toison.

Jason
Seigneur, contre ses yeux qui voudroit se défendre ?
Il ne faut point combattre où l'on aime à se rendre.
Oui, Madame, à vos pieds je mets les armes bas,
J'en fais un prompt hommage à vos divins appas,
Et renonce avec joie à ma plus haute gloire.
S'il faut par ce combat acheter la victoire,
Je l'abandonne, Orphée, aux charmes de ta voix,
Qui traîne les rochers, qui fait marcher les bois :
Assoupis le dragon, enchante la Princesse.
Et vous, héros ailés, ménagez votre adresse :
Si pour cette conquête il vous reste du cœur,
Tournez sur le dragon toute votre vigueur.
Je vais dans le navire attendre une défaite,
Qui vous fera bientôt imiter ma retraite.

Zéthès
Montrez plus d'espérance, et souvenez-vous mieux
Que nous avons dompté des monstres à vos yeux.

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