ACTE IV - Scène III



(JUNON, MÉDÉE.)

Médée
L'avez-vous vu, ma sœur, cet amant infidèle ?
Que répond-il aux pleurs d'une reine si belle ?
Souffre-t-il par pitié qu'ils en fassent un roi ?
A-t-il encor le front de vous parler de moi ?
Croit-il qu'un tel exemple ait su si peu m'instruire,
Qu'il lui laisse encor lieu de me pouvoir séduire ?

Junon
Modérez ces chaleurs de votre esprit jaloux :
Prenez des sentiments plus justes et plus doux ;
Et sans vous emporter souffrez que je vous die…

Médée
Qu'il pense m'acquérir par cette perfidie ?
Et que ce qu'il fait voir de tendresse et d'amour,
Si j'ose l'accepter, m'en garde une à mon tour ?
Un volage, ma sœur, a beau faire et beau dire,
On peut toujours douter pour qui son cœur soupire :
Sa flamme à tous moments peut prendre un autre cours,
Et qui change une fois peut changer tous les jours.
Vous, qui vous préparez à prendre sa défense,
Savez-vous, après tout, s'il m'aime ou s'il m'offense ?
Lisez-vous dans son cœur pour voir ce qui s'y fait,
Et si j'ai de ces feux l'apparence ou l'effet ?

Junon
Quoi ? vous vous offensez d'Hypsipyle quittée !
D'Hypsipyle pour vous à vos yeux maltraitée !
Vous, son plus cher objet ! vous de qui hautement
En sa présence même il s'est nommé l'amant !
C'est mal vous acquitter de la reconnoissance
Qu'une autre croiroit due à cette préférence.
Voyez mieux qu'un héros si grand, si renommé,
Auroit peu fait pour vous, s'il n'avoit rien aimé.
En ces tristes climats qui n'ont que vous d'aimable,
Où rien ne s'offre aux yeux qui vous soit comparable,
Un cœur qu'un autre objet ne peut vous disputer
Vous porte peu de gloire à se laisser dompter.
Mais Hypsipyle est belle, et joint au diadème
Un amour assez fort pour mériter qu'on l'aime ;
Et quand, malgré son trône, et malgré sa beauté,
Et malgré son amour, vous l'avez emporté,
Que ne devez-vous point à l'illustre victoire
Dont ce choix obligeant vous assure la gloire ?
Peut-il de vos attraits faire mieux voir le prix,
Que par le don d'un cœur qu'Hypsipyle avoit pris ?
Pouvez-vous sans chagrin refuser un hommage
Qu'une autre lui demande avec tant d'avantage ?
Pouvez-vous d'un tel don faire si peu d'état,
Sans vouloir être ingrate, et l'être avec éclat ?
Si c'est votre dessein, en faisant la cruelle,
D'obliger ce héros à retourner vers elle,
Vous en pourrez avoir un succès assez prompt ;
Sinon…

Médée
Plutôt la mort qu'un si honteux affront.
Je ne souffrirai point qu'Hypsipyle me brave,
Et m'enlève ce cœur que j'ai vu mon esclave.
Je voudrois avec vous en vain le déguiser ;
Quand je l'ai vu pour moi tantôt la mépriser,
Qu'à ses yeux, sans nous mettre un moment en balance,
Il m'a si hautement donné la préférence,
J'ai senti des transports que mon esprit discret
Par un soudain adieu n'a cachés qu'à regret.
Je ne croirai jamais qu'il soit douceur égale
À celle de se voir immoler sa rivale,
Qu'il soit pareille joie ; et je mourrois, ma sœur,
S'il falloit qu'à son tour elle eût même douceur.

Junon
Quoi ? pour vous cette honte est un malheur extrême ?
Ah ! vous l'aimez encor.

Médée
Non ; mais je veux qu'il m'aime.
Je veux, pour éviter un si mortel ennui,
Le conserver à moi, sans me donner à lui,
L'arrêter sous mes lois, jusqu'à ce qu'Hypsipyle
Lui rende de son cœur la conquête inutile,
Et que le prince Absyrte, ayant reçu sa foi,
L'ait mise hors d'état de triompher de moi.
Lors, par un juste exil punissant l'infidèle.
Je n'aurai plus de peur qu'il me traite comme elle ;
Et je saurai sur lui nous venger toutes deux,
Sitôt qu'il n'aura plus à qui porter ses vœux.

Junon
Vous vous promettez plus que vous ne voudrez faire,
Et vous n'en croirez pas toute cette colère.

Médée
Je ferai plus encor que je ne me promets.
Si vous pouvez, ma sœur, quitter ses intérêts.

Junon
Quelques chers qu'ils me soient, je veux bien m'y contraindre,
Et pour mieux vous ôter tout sujet de me craindre,
Le voilà qui paroît, je vous laisse avec lui.
Vous me rappellerez, s'il a besoin d'appui.

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