ACTE TROISIÈME - Scène IX
Le Prince
Eh quoi ! Silvia, vous ne me regardez pas ? Vous devenez triste toutes les fois que je vous aborde ; j'ai toujours le chagrin de penser que je vous suis importun.
Silvia
Bon, importun ! je parlais de lui tout à l'heure.
Le Prince
Vous parliez de moi ? et qu'en disiez-vous, belle Silvia ?
Silvia
Oh ! je disais bien des choses ; je disais que vous ne saviez pas encore ce que je pensais.
Le Prince
Je sais que vous êtes résolue à me refuser votre cœur, et c'est là savoir ce que vous pensez.
Silvia
Hum, vous n'êtes pas si savant que vous le croyez ; ne vous vantez pas tant. Mais, dites-moi ; vous êtes un honnête homme, et je suis sûre que vous me direz la vérité : vous savez comme je suis avec Arlequin ; à présent, prenez que j'ai envie de vous aimer si je contentais mon envie, ferais-je bien ? ferais-je mal ? Là, conseillez-moi dans la bonne foi.
Le Prince
Comme on n'est pas le maître de son cœur, si vous aviez envie de m'aimer, vous seriez en droit de vous satisfaire ; voilà mon sentiment.
Silvia
Me parlez-vous en ami ?
Le Prince
Oui, Silvia, en homme sincère.
Silvia
C'est mon avis aussi ; j'ai décidé de même, et je crois que nous avons raison tous deux ; ainsi je vous aimerai, s'il me plaît, sans qu'il ait le petit mot à dire.
Le Prince
Je n'y gagne rien, car il ne vous plaît point.
Silvia
Ne vous mêlez point de deviner ; je n'ai point de foi à vous. Mais enfin ce prince, puisqu'il faut que le voie, quand viendra-t-il ? S'il veut, je l'en quitte.
Le Prince
Il ne viendra que trop tôt pour moi ; lorsque vous le connaîtrez mieux, vous ne voudrez peut-être plus de moi.
Silvia
Courage ! vous voilà dans la crainte à cette heure ; je crois qu'il a juré de n'avoir jamais un moment de bon temps.
Le Prince
Je vous avoue que j'ai peur.
Silvia
Quel homme ! il faut bien que je lui remette l'esprit. Ne tremblez plus ; je n'aimerai jamais le prince, je vous en fait un serment par…
Le Prince
Arrêtez, Silvia ; n'achevez pas votre serment, je vous en conjure.
Silvia
Vous m'empêchez de jurer ? cela est joli ; j'en suis bien aise.
Le Prince
Voulez-vous que je vous laisse jurer contre moi ?
Silvia
Contre vous ! est-ce que vous êtes le prince ?
Le Prince
Oui, Silvia ; je vous ai jusqu'ici caché mon rang, pour essayer de ne devoir votre tendresse qu'à la mienne ; je ne voulais rien perdre du plaisir qu'elle pouvait me faire. À présent que vous me connaissez, vous êtes libre d'accepter ma main et mon cœur, ou de refuser l'un et l'autre. Parlez, Silvia
Silvia
Ah ! mon cher prince, j'allais faire un beau serment ! Si vous avez cherché le plaisir d'être aimé de moi, vous avez bien trouvé ce que vous cherchiez ; vous savez que je dis la vérité, voilà ce qui m'en plaît.
Le Prince
Notre union est donc assurée.