ACTE PREMIER - Scène II


Le Prince (à Trivelin)
Eh bien ! as-tu quelque espérance à me donner ? Que dit-elle ?

Trivelin
Ce qu'elle dit, seigneur ? Ma foi, ce n'est pas la peine de le répéter ; il n'y a rien encore qui mérite votre curiosité.

Le Prince
N'importe ; dis toujours.

Trivelin
Eh ! non, Seigneur ; ce sont de petites bagatelles dont le récit vous ennuierait ; tendresse pour Arlequin, impatience de le rejoindre, nulle envie de vous connaître, désir violent de ne vous point voir, et force haine pour nous voilà l'abrégé de ses dispositions. Vous voyez bien que cela n'est point réjouissant ; et franchement, si j'osais dire ma pensée, le meilleur serait de la remettre où on l'a prise.

Flaminia
J'ai déjà dit, la même chose au Prince ; mais cela est inutile. Aussi continuons, et ne songeons qu'à détruire l'amour de Silvia pour Arlequin

Trivelin
Mon sentiment à moi est qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette fille-là. Refuser ce qu'elle refuse, cela n'est point naturel ; ce n'est point là une femme, voyez-vous ; c'est quelque créature d'une espèce à nous inconnue. Avec une femme nous irions notre train ; celle-ci nous arrête ; cela nous avertit d'un prodige ; n'allons pas plus loin.

Le Prince
Et c'est ce prodige qui augmente encore l'amour que j'ai conçu pour elle.
Flaminia, en riant.
Eh ! seigneur, ne l'écoutez pas avec son prodige ; cela est bon dans un conte de fée. Je connais mon sexe ; il n'a rien de prodigieux que sa coquetterie. Du côté de l'ambition, Silvia n'est point en prise ; mais elle a un cœur, et par conséquent de la vanité ; avec cela, je saurai bien la ranger à son devoir de femme. Est-on allé chercher Arlequin ?

Trivelin
Oui ; je l'attends.

Le Prince
Je vous avoue, Flaminia, que nous risquons beaucoup à lui montrer son amant ; sa tendresse pour lui n'en deviendra que plus forte.

Trivelin
Oui ; mais, si elle ne le voit, l'esprit lui tournera ; j'en ai sa parole.

Flaminia
Seigneur, je vous ai déjà dit qu'Arlequin nous était nécessaire.

Le Prince
Oui, qu'on l'arrête autant qu'on pourra. Vous pouvez lui promettre que je le comblerai de biens et de faveurs, s'il veut en épouser une autre que sa maîtresse.

Trivelin
Il n'y a qu'à réduire ce drôle-là, s'il ne veut pas.

Le Prince
Non ; la loi, qui veut que j'épouse une de mes sujettes, me défend d'user de violence contre qui que ce soit.

Flaminia
Vous avez raison. Soyez tranquille ; j'espère que tout se fera à l'amiable. Silvia vous connaît déjà, sans savoir que vous êtes le prince ; n'est-il pas vrai ?

Le Prince
Je vous ai dit qu'un jour à la chasse, écarté de ma troupe, je la rencontrai près de sa maison ; j'avais soif, elle alla me chercher à boire ; je fus enchanté de sa beauté et de sa simplicité, et je lui en fis l'aveu. Je l'ai vue cinq ou six fois de la même manière, comme simple officier du palais ; mais quoiqu'elle m'ait traité avec beaucoup de douceur, je n'ai pu la faire renoncer à Arlequin, qui m'a surpris deux fois avec elle.

Flaminia
Il faudra mettre à profit l'ignorance où elle est de votre rang. On l'a déjà prévenue que vous ne la verriez pas sitôt ; je me charge du reste, pourvu que vous vouliez bien agir comme je voudrai.

Le Prince
J'y consens. Si vous m'acquérez le cœur de Silvia, il n'est rien que vous ne deviez attendre de ma reconnaissance.
(Il sort.)

Flaminia
Toi, Trivelin : , va-t'en dire à ma sœur qu'elle tarde trop à venir.

Trivelin
Il n'est pas besoin, la voilà qui entre ; adieu, je vais au-devant d'Arlequin

Autres textes de Marivaux

La Surprise de l'Amour

(PIERRE, JACQUELINE.)PIERRETiens, Jacquelaine, t'as une himeur qui me fâche. Pargué ! encore faut-il dire queuque parole d'amiquié aux gens.JACQUELINEMais qu'est-ce qu'il te faut donc ? Tu me veux pour ta...

La Seconde Surprise de l'amour

(LA MARQUISE, LISETTE.)(La Marquise entre tristement sur la scène ; Lisette la suit sans qu'elle le sache.)La Marquise (s'arrêtant et soupirant.)Ah !Lisette (derrière elle.)Ah !La MarquiseQu'est-ce que j'entends là ?...

La Réunion des Amours

(L'AMOUR, qui entre d'un côté, CUPIDON, de l'autre.)CUPIDON (, à part.)Que vois-je ? Qui est-ce qui a l'audace de porter comme moi un carquois et des flèches ?L'AMOUR (, à...

La Provinciale

(MADAME LÉPINE, LE CHEVALIER, LA RAMÉE)(Ils entrent en se parlant.)MADAME LÉPINEAh ! vraiment, il est bien temps de venir : je n'ai plus le loisir de vous entretenir ; il...

La mère confidente

(DORANTE, LISETTE.)DORANTEQuoi ! vous venez sans Angélique, Lisette ?LISETTEElle arrivera bientôt ; elle est avec sa mère : je lui ai dit que j'allais toujours devant, et je ne me...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024