ACTE DEUXIÈME - Scène VI


Arlequin
Cela est terrible ! Je n'ai trouvé ici qu'une personne qui entende la raison, et l'on vient chicaner ma conversation avec elle. Ma chère Flaminia, à présent, parlons de Silvia à notre aise ; quand je ne la vois point, il n'y a qu'avec vous que je m'en passe.
Flaminia, d'un air simple.
Je ne suis point ingrate ; il n'y a rien que je ne fisse pour vous rendre contents tous deux ; et d'ailleurs vous êtes si estimable, Arlequin, que, quand je vois qu'on vous chagrine, je souffre autant que vous.

Arlequin
La bonne sorte de fille ! Toutes les fois que vous me plaignez, cela m'apaise ; je suis la moitié moins fâché d'être triste.

Flaminia
Pardi ! qui est-ce qui ne vous plaindrait pas ? Qui est-ce qui ne s'intéresserait pas à vous ? Vous ne connaissez pas ce que vous valez, Arlequin

Arlequin
Cela se peut bien ; je n'y ai jamais regardé de si près.

Flaminia
Si vous saviez combien il m'est cruel de n'avoir point de pouvoir ! si vous lisiez dans mon cœur !

Arlequin
Eh ! je ne sais point lire ; mais vous me l'expliquerez. Par la mardi ! je voudrais n'être plus affligé, quand ce ne serait que pour le souci que cela vous donne ; mais cela viendra.

Flaminia
Non, je ne serai jamais témoin de votre contentement ; voilà qui est fini ; Trivelin causera, l'on me séparera d'avec vous ; et que sais-je, moi, où l'on m'emmènera ? Arlequin, je vous parle peut-être pour la dernière fois, et il n'y a plus de plaisir pour moi dans le monde.

Arlequin (triste.)
Pour la dernière fois ! J'ai donc bien du guignon ! Je n'ai qu'une pauvre maîtresse, ils me l'ont emportée ; vous emporteraient-ils encore ? et où est-ce que le prendrai du courage pour endurer tout cela ? Ces gens-là croient-ils que j'ai un cœur de fer ? Ont-ils entrepris mon trépas ? Seront-ils aussi barbares ?

Flaminia
En tout cas, j'espère que vous n'oublierez jamais Flaminia, qui n'a rien tant souhaité que votre bonheur.

Arlequin
M'amie, vous me gagnez le cœur. Conseillez-moi dans ma peine ; avisons-nous ; quelle est votre pensée ? Car je n'ai point d'esprit, moi, quand je suis fâché. Il faut que j'aime Silvia ; il faut que je vous garde ; il ne faut pas que mon amour pâtisse de notre amitié, ni notre amitié de mon amour ; et me voilà bien embarrassé.

Flaminia
Et moi bien malheureuse ! Depuis que j'ai perdu mon amant, je n'ai eu de repos qu'en votre compagnie, je respire avec vous ; vous lui ressemblez tant, que je crois quelquefois lui parler ; je n'ai vu dans le monde que vous et lui de véritablement aimables.

Arlequin
Pauvre fille ! il est fâcheux que j'aime Silvia ; sans cela je vous donnerais de bon cœur la ressemblance de votre amant. C'était donc un joli garçon ?

Flaminia
Ne vous ai-je pas dit qu'il était comme vous, que vous êtes son portrait ?

Arlequin
Et vous l'aimiez donc beaucoup ?

Flaminia
Regardez-vous, Arlequin ; voyez combien vous méritez d'être aimé, et vous verrez combien je l'aimais.

Arlequin
Je n'ai vu personne répondre si doucement que vous. Votre amitié se met partout. Je n'aurais jamais cru être si joli que vous le dites ; mais puisque vous aimiez tant ma copie, il faut bien croire que l'original mérite quelque chose.

Flaminia
Je crois que vous m'auriez encore plu davantage ; mais je n'aurais pas été assez belle pour vous.
Arlequin, avec feu.
Par la sambille ! je vous trouve charmante avec cette pensée-là.

Flaminia
Vous me troublez, il faut que je vous quitte ; je n'ai que trop de peine à m'arracher d'auprès de vous ; mais où cela nous conduirait-il ? Adieu, Arlequin ; je vous verrai toujours, si on me le permet ; je ne sais où j'en suis.

Arlequin
Je suis tout de même.

Flaminia
J'ai trop de plaisir à vous voir.

Arlequin
Je ne vous refuse pas ce plaisir-là, moi ; regardez-moi à votre aise, je vous rendrai la pareille.

Flaminia
Je n'oserais, adieu. (Elle sort.)

Arlequin
Ce pays-ci n'est as digne d'avoir cette fille-là. Si par quelque malheur Silvia venait à manquer, dans mon désespoir je crois que je me retirerais avec elle.

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