ACTE DEUXIÈME - Scène III


Flaminia
Voilà une créature bien effrontée !

Silvia
Je suis outrée. J'ai bien affaire qu'on m'enlève pour se moquer de moi ; chacun a son prix. Ne semble-t-il pas que je ne vaille pas bien ces femmes-là ? Je ne voudrais pas être changée contre elles.

Flaminia
Bon ! ce sont des compliments que les injures de cette jalouse-là.

Le Prince
Belle Silvia, cette femme-là nous a trompés, le prince et moi ; vous m'en voyez au désespoir, n'en doutez pas. Vous savez que je suis pénétré de respect pour vous ; vous connaissez mon cœur. Je venais ici pour me donner la satisfaction de vous voir, pour jeter encore une fois les yeux sur une personne si chère, et reconnaître notre souveraine… mais je ne prends pas garde que je me découvre, que Flaminia m'écoute, et que je vous importune encore.

Flaminia
Quel mal faites-vous ? Ne sais-je pas bien qu'on ne peut la voir sans l'aimer ?

Silvia
Et moi, je voudrais qu'il ne m'aimât pas, car j'ai du chagrin de ne pouvoir lui rendre le change. Encore si c'était un homme comme tant d'autres, à qui l'on dit ce qu'on veut ; mais il est trop agréable pour qu'on le maltraite, lui, il a toujours été comme vous le voyez.

Le Prince
Ah ! que vous êtes obligeante, Silvia ! Que puis-je faire pour mériter ce que vous venez de me dire, si ce n'est de vous aimer toujours ?

Silvia
Eh bien ! aimez-moi, à la bonne heure ; j'y aurai du plaisir, pourvu que vous promettiez de prendre votre mal en patience ; car je ne saurais mieux faire, en vérité. Arlequin est venu le premier ; voilà tout ce qui vous nuit. Si j'avais deviné que vous viendriez après lui, en bonne foi je vous aurais attendu ; mais vous avez du malheur, et moi je ne suis pas heureuse.

Le Prince
Flaminia, je vous en fais juge, pourrait-on cesser d'aimer Silvia ? Connaissez-vous de cœur plus compatissant, plus généreux que le sien ? Non ; la tendresse d'un autre me toucherait moins que la seule bonté qu'elle a de me plaindre.

Silvia (à Flaminia)
Et moi, je vous en fais juge aussi ; là, vous l'entendez ; comment se comporter avec un homme qui me remercie toujours, qui prend tout ce qu'on lui dit en bien ?

Flaminia
Franchement, il a raison, Silvia ; vous êtes charmante, et à sa place je serais tout comme il est.

Silvia
Ah çà ! n'allez pas l'attendrir encore. Il n'a pas besoin qu'on lui dise tant que je suis jolie ; il le croit assez. (Au Prince.)
Croyez-moi, tâchez de m'aimer tranquillement, et vengez-moi de cette femme qui m'a injuriée.

Le Prince
Oui, ma chère Silvia, j'y cours. À mon égard, de quelque façon que vous me traitiez, mon parti est pris ; j'aurai du moins le plaisir de vous aimer toute ma vie.

Silvia
Oh ! je m'en doutais bien ; je vous connais.

Flaminia
Allez, monsieur ; hâtez-vous d'informer le prince du mauvais procédé de la dame en question ; il faut que tout le monde sache ici le respect qui est dû à Silvia.

Le Prince
Vous aurez bientôt de mes nouvelles.

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