Acte Premier - Scène X



LES MÊMES, PACAREL DE GAUCHE, LANDERNAU DU FOND, MARTHE DE DROITE, JULIE DU FOND.

PACAREL
Ah ! mes amis, je suis aux anges… il a une voix, voyez-vous…

LANDERNAU
Tu l'as fait chanter ?

PACAREL
Non, mais je l'ai entendu tousser, et il a un creux ! Aussi, j'ai immédiatement écrit aux directeurs de l'Opéra pour demander une audition.

MARTHE
Si tu le priais de chanter quelque chose…

PACAREL (passant devant Landernau et allant à Dufausset)
Volontiers… Mon cher Dufausset.

TOUS
Dufausset ?…

PACAREL
Oui, chut !… je ne vous l'ai pas dit… il est le fils naturel de Dufausset. Mais ne lui en parlez pas, cela lui ferait de la peine…
(Il remonte.)


LANDERNAU
Oh ! le pauvre garçon ! (Il va serrer la main à Dufausset par condoléance.)
Croyez que je prends bien part…

DUFAUSSET
Vous êtes trop aimable !… (À part.)
Qu'est-ce qu'il a le médecin ? (Haut.)
À propos de quoi…

LANDERNAU
Rien, chut !… Je respecte les blessures…

DUFAUSSET
Vous avez raison, ça regarde les chirurgiens. (Landernau remonte. À part.)
Quelle drôle de famille !…

PACAREL
Dites donc, chantez-nous donc quelque chose ?

DUFAUSSET
Moi ? vous n'y pensez pas !…

PACAREL
Voyons, c'est bien le moins.

DUFAUSSET
Quelle sacrée manie ils ont de vouloir me faire chanter !

MARTHE
Oh ! monsieur, vous ne me refuserez pas, à moi !

DUFAUSSET (à part)
Elle ! (Haut.)
Mais je vous assure que je n'ai pas de voix…

AMANDINE
Allons donc ! On dit toujours ça !

JULIE
Je vous accompagnerai…

DUFAUSSET
Où ça, mademoiselle ?
(Amandine redescend vers le premier plan)


JULIE
Mais au piano.

DUFAUSSET
Oh ! j'irai bien seul…

JULIE
Mais non, je vous jouerai l'accompagnement, là !…

DUFAUSSET
Ah ! vous me… parfaitement… C'est que je vais vous dire… les pianos, ils sont tous faux, à côté de ma voix.

MARTHE
Enfin, nous essaierons.

DUFAUSSET
Alors, vous voulez que… Eh ! bien, tant pis pour vous, c'est vous qui l'aurez voulu !

TOUS (avec satisfaction)
Ah !

DUFAUSSET (à Marthe, bas)
Ah ! vous m'avez donné bien du bonheur !

MARTHE
Moi !…

DUFAUSSET
Oui ! Oh ! mais, allez, je vous en donnerai des jarretières…

MARTHE
À moi ! mais il est fou !

JULIE
Qu'est-ce que vous voulez chanter ?

DUFAUSSET (s'avançant un peu)
Ça m'est égal… Je sais un peu… "Salut ! demeure chaste et pure ! "

JULIE
Ah ! je connais, je l'ai refait.

AMANDINE (à Marthe)
Qu'est-ce qu'il vous a dit ?

MARTHE
Je ne sais… il m'a offert des jarretières !

AMANDINE
Tiens, et à moi aussi ! C'est une monomanie.

JULIE
Y êtes-vous ?

DUFAUSSET
Voilà. (Bas à Marthe. en passant.)
Je vous aime !

MARTHE
Ah ! mon Dieu ! Je suis aimée d'un ténor.

LANDERNAU (qui a entendu)
Il fait la cour à Marthe !… Je le surveillerai.
(Julie se met au piano et prélude.)


DUFAUSSET (toussant pour se mettre en voix)
Hum ! Hum !…

PACAREL
Comme c'est déjà beau ! Comme on sent un grand ténor.

AMANDINE ET MARTHE (se pâmant)
Ah !…

AMANDINE
C'est exquis !

LANDERNAU
Chut ! Bibiche !

DUFAUSSET (chantant)
"Salut ! demeure chaste et pure ! "
Il fait un couac.

LANDERNAU
Aie… il y a un chat !

PACAREL
Où ça ?… faites-le sortir !

AMANDINE ET MARTHE
Chutt ! ! !…

DUFAUSSET
"Salut ! demeure chaste et pure ! " (bis)
.

JULIE
Non, permettez… vous descendez… on remonte.

DUFAUSSET
Moi, je descends toujours.

PACAREL
Oui, c'est toujours comme ça pour les grands chanteurs… On modifie ! Bravo ! Bravo !

TOUS
Bravo ! Bravo !

DUFAUSSET (salue et remercie. À Julie)
Voulez-vous recommencer, mademoiselle, j'y suis.

TOUS
Ah !
(Julie prélude. Au moment où Dufausset ouvre la bouche pour chanter, on entend un orgue de Barbarie qui joue dans la coulisse.)


TOUS
Oh !
(Tout le monde se lève et remonte vers le fond.)


PACAREL
Que le diable l'emporte !

MARTHE
C'est un mendiant devant la grille.

AMANDINE
Il faut lui jeter des sous pour qu'il s'en aille.

PACAREL
C'est ça. (Il jette des sous.)
Mais allez-vous en !

TOUS (jetant des sous)
Allez-vous en ! Allez-vous en !

PACAREL
Ah ! il s'en va.

LANDERNAU
Ce n'est pas malheureux.
(On se réinstalle.)


PACAREL
Là, maintenant, si vous voulez bien…
(Dufausset recommence à chanter ; au bout de deux mesures, on entend l'orgue qui reprend de plus belle.)


TOUS
Oh ! encore.
(Tout le monde remonte vers la fenêtre.)


DUFAUSSET (quittant le piano)
Il n'y a pas moyen de chanter comme ça ! Il joue un air, moi j'en chante un autre ; ça fait un courant d'airs… Ça n'est pas possible !…

PACAREL (vivement)
Un courant d'air ! Ah ! mon Dieu ! il a raison ! il pourrait prendre froid ! Vite ! fermez les portes ! (À Dufausset.)
Couvrez-vous ! (Aux autres.)
Couvrons-le !
(Remue-ménage général. Tous cherchent un objet pour couvrir Dufausset ahuri. Chacun se précipite, qui sur un foulard, qui sur un tapis de table, qui sur un manteau, pour couvrir Dufausset.)


DUFAUSSET (ahuri)
Mais qu'est-ce qui les prend ?

PACAREL (une chancelière à la main)
Un courant d'air ! Ah ! bien merci !…
(Il coiffe Dufausset de la chancelière.)


LANDERNAU (au milieu du brouhaha général)
Eh ! bien, au fond, on ne serait pas connaisseur, on dirait : cet homme-là, c'est pas un chanteur, c'est une casserole !
(RIDEAU)

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