Acte II - Scène V



LES MÊMES, TIBURCE, PUIS LANDERNAU, JULIE, PUIS PACAREL.

TIBURCE (du fond)
Madame… Madame… C'est Monsieur qui est arrivé, il a l'air tout effondré !

AMANDINE
Ah !… mon Dieu !

MARTHE
Pourquoi ça ?

LANDERNAU (entrant de gauche, deuxième plan)
Qu'y a-t-il ?…

JULIE (entrant de droite, premier plan)
Qu'est-ce que c'est ?…

AMANDINE
C'est monsieur Pacarel.

MARTHE
C'est ton père…

PACAREL (arrivant du fond)
Ah ! mes amis, de l'eau de mélisse !… quelque chose !… secourez-moi !… Je n'en puis plus !… (Il s'assied sur un siège que lui avance Landernau. Tiburce est allé prendre un verre d'eau sur la cheminée, premier plan gauche, et le donne à Landerneau qui le passe à Pacarel.)
Ah ! quel coup !… Ah ! Bien ! Il l'a passée, son audition… C'est du propre, mes amis, un désastre !…

TOUS (anéantis)
Ah !…

PACAREL
Ah !… si je m'étais attendu à ça… Hier déjà… quand nous l'avons fait chanter, je me disais bien… Et toi aussi, Landernau. tu me le disais… c'est drôle, n'est-ce pas… mais je pensais : c'est que nous ne sommes pas musiciens… puisqu'il est célèbre… c'est qu'il a une belle voix… Ah ! je t'assure qu'il est bien surfait !… C'est comme ça qu'on fait des réputations dans le Midi…
J'aurais dû m'en méfier après tout… Les Bordelais… c'est si blagueur !…
(Il rend son verre vide à Landernau qui le passe à Tiburce. Celui-ci sort presque aussitôt par la gauche.)


TOUS
Alors !

PACAREL (se levant)
Nous arrivons donc à l'opéra : les directeurs nous reçoivent et l'on passe dans la salle. Il n'y avait que nous deux et le jury. Ce jury était composé des directeurs, du chef d'orchestre et d'un pompier qui se promenait, ce dernier ne devait avoir que voix consultative, car, n'ayant point été interrogé, il n'a point émis d'avis. Le chef d'orchestre était chargé d'accompagner… Il demande à Dufausset quels sont les airs qu'il chante ? Il répond qu'il possède assez bien "Mad'moiselle, écoutez-moi donc". On lui objecte que ça ne fait pas partie du répertoire… Il fait : "tant pis !…" Et il se rabat sur son éternel : "Salut demeure chaste et pure ! " Moi, je me sens saisi d'inquiétude parce que ça n'avait pas si bien marché hier, ici. Enfin, je me dis : à la grâce de Dieu !… Et il a chanté, si on peut appeler ça chanter… C'était faux… et pas en mesure… Et il a eu beau prétendre que c'était le piano qui était faux et l'accompagnateur qui allait trop vite… ça n'a pas mordu… Les directeurs se sont regardés, ahuris. Le pompier, lui, ne disait rien… Mais il n'avait pas l'air satisfait… Quant à l'accompagnateur, il était en moiteur… Il faisait : "allez donc !… mais allez donc !…" À la fin, Dufausset a dit : "Flûte !…" Et j'ai senti que tout le monde me regardait… J'étais couverte de honte, et quand je suis parti… on m'a dit que le théâtre n'était pas un atelier pour les fumistes !…
Ah ! le bandit !…

JULIE
Calme-toi, papa !…
(Pacarel passe au deuxième plan ; Julie au troisième, replace la chaise à gauche.)


PACAREL
Calme-toi !… calme-toi !… c'est bien facile à dire cela… Qu'est-ce que je vais en faire, moi, de ce propre à rien ?… Car enfin… j'ai un traité avec lui… un traité qui me lie comme un mouton… 3500 francs par mois… Si tu crois que c'est peu de chose… pour un ténor qui n'a pas de voix…
Et puis… ton opéra, alors, qui est-ce qui le jouera ?… Ce ne sera pas Landernau. ce ne sera pas moi, et cependant, je ne puis pas traiter avec tous les ténors libres d'engagements pour te trouver un interprète… Fondons une agence, alors !…
(Pendant ce qui suit, Julie a gagné la droite et remonte derrière le canapé. Amandine. remonte également causer avec Julie.)


MARTHE
Voyons… tu exagères les choses… Dufausset est peut-être fatigué… Le changement de climat…
On ne sait pas… ce voyage… Il est arrivé d'hier. Tu ne lui as pas laissé le temps de souffler… tu comprends que, s'il est célèbre à Bordeaux, c'est qu'il a quelque chose.

PACAREL
Ah !… ouah !… c'est un zéro !… vrai !… J'ai fait une jolie acquisition… (Dufausset paraît au fond.)
Lui !… Laissez-nous seuls !
(Tous sortent par la droite, deuxième plan.)

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024