Acte Premier - Scène II



LES MÊMES, TIBURCE, DUFAUSSET

TIBURCE
Monsieur. Il y a là un Monsieur qui arrive de Bordeaux… Il vient de la part de M. Dufausset.

PACAREL
De Dufausset.! C'est lui ! c'est Dujeton… Ah ! mes amis… Je vous en prie… faites-lui une entrée… Songez, un ténor, c'est habitué aux ovations… Marthe. au piano… ton grand morceau… (Marthe gagne le piano.)
Madame Landernau et toi, Julie. vous allez taper sur vos verres avec des cuillers… N'ayez pas peur de faire du bruit. Toi, Landernau, tu vas monter sur une chaise en face de moi, et avec ta serviette, nous ferons l'arc de triomphe. Avez-vous bien compris ?
Là, allons-y. Et toi Tiburce, fais entrer avec déférence.
(Chacun prend la position indiquée. Pacarel et Landernau montent chacun sur un des fauteuils du fond, Pacarel à gauche et Landernau à droite… Amandine et Julie sont à droite de la table.)

(Tiburce introduit Dufausset qui est accueilli par un charivari formidable.)


DUFAUSSET (entrant du fond, à droite)
Une maison de fous… Je me suis trompé.
(Il fait mine de sortir.)


PACAREL (descendant de son fauteuil)
Eh ! bien, où allez-vous ?
(Pacarel, Dufausset, Landernau, Amandine, Julie, Marthe au piano.)


DUFAUSSET
Ne vous dérangez pas. (À part.)
Il ne faut pas les contrarier (Haut.)
Continuez donc.

PACAREL (à part)
Ah ! Ah ! Il aime ça, les ovations. (Haut.)
Allons, reprenons…
(Le charivari recommence. Dufausset cherche à s'esquiver.)


PACAREL (le rattrapant)
Mais ne filez donc pas… Est-il drôle !…

DUFAUSSET
Mais je ne file pas. (À part.)
Je ne suis pas rassuré, ils sont en nombre.

PACAREL
Et maintenant causons… D'abord permettez-moi de vous présenter tout le monde. (Il est à l'extrême-gauche avec Dufausset, tous les autres sont massés au fond à droite. Présentant de loin tout le monde en bloc.)
M. et Mme Landernau, nos amis intimes qui partagent notre maison, ma femme, ma fille…
(Tout le monde salue Dufausset, qui salue.)


MARTHE (qui s'est levée du piano, reconnaissant Dufausset)
Ah ! Le monsieur du tramway qui m'a prêté six sous !
(Elle remonte à Landernau.)


DUFAUSSET
La dame qui avait oublié son porte-monnaie… Est-ce possible ? Dans une maison de fous ! Pauvre femme !

PACAREL
Là ! Les présentations sont faites… Ah ! je suis content de vous voir… Dufausset va bien ?
(Ils prennent le milieu de la scène.)


DUFAUSSET
Papa ?

PACAREL
Papa !… il a dit papa !… Pourquoi dit-il papa ? Non, je vous demande si Dufausset.

DUFAUSSET (brusquement)
Dufausset ?… Ah ? mais alors…

PACAREL (sursautant)
Qu'est-ce qu'il a ?

DUFAUSSET
Vous êtes monsieur Pacarel.?

PACAREL
Tiens, parbleu ! (À part.)
Est-il bête, il m'a fait une peur !

DUFAUSSET
Et moi qui croyais être chez des fous…

PACAREL
Hein ?

DUFAUSSET
Dame ! C'est vrai, on vous trouve là, tous, sur des chaises, sur la table ou dans le piano… On aurait cru que vous jouiez au chat perché… en musique.

LANDERNAU
On vous faisait une entrée.

AMANDINE
Plaignez-vous donc…

DUFAUSSET
Ah ! c'était pour… quelle drôle de façon de recevoir !

AMANDINE
Ce jeune homme m'a regardée.

DUFAUSSET
Comment, vous êtes M. Pacarel. Enchanté ! Ah ! à propos, j'ai une lettre pour vous, elle est au fond de ma malle…

PACAREL
De Dufausset. Ah ! ce cher ami… Il va bien Dufausset.?

DUFAUSSET
Admirablement ! Il va admirablement, mon père.

PACAREL
Pourquoi m'appelle-t-il son père ? Il a dû être élevé chez les Jésuites, (Remontant vers les siens.)
Eh ! bien, comment le trouvez-vous, mon ténor ?

AMANDINE
Majestueux !…

LANDERNAU
Il a l'air d'avoir de la santé, je le soignerai.
(Ils échangent leurs impressions.)


DUFAUSSET (à l'avant-scène)
Drôles de gens ! Papa qui est à Bordeaux… me dit hier : mon fils… tu vas aller faire ton droit à Paris… Mais comme je ne veux pas te laisser livré à toi-même dans cette grande ville des plaisirs effrénés et des corruptions faciles, je t'adresse à mon vieil ami Pacarel, en le priant de veiller sur toi… Sois aimable avec lui… et ne le contrarie pas… tu verras, c'est un charmant homme… Ça, c'est vrai, il en a l'air, je crois que je m'entendrai très bien avec lui.

PACAREL (redescendant vers Dufausset)
Ah ! vous ne savez pas combien je suis heureux de vous avoir… Dites-donc, vous n'avez pas déjeuné ?

DUFAUSSET
Le fait est que depuis ce matin…

PACAREL
Oh ! j'en étais sûr… Vous ne voulez pas un œuf cru, une côtelette saignante.

DUFAUSSET
Non merci… j'aime mieux autre chose (Pacarel remonte à gauche, Landernau le rejoint.)
Quelle drôle de cuisine on fait à Paris.

MARTHE (qui est descendue premier plan)
C'est que quelquefois, pour la voix…

DUFAUSSET
Ah ! si ce n'est que ça ; vous savez, moi, ma voix… j'en fais si peu de cas.

AMANDINE (descendant)
Tout le monde n'est pas comme vous !
(Pacarel et Landernau au-dessus de la table.)


DUFAUSSET
Je n'en doute pas, madame… (À part.)
Ce doit être une chanteuse,

AMANDINE
Il est un peu fat !
(Elle remonte.)


PACAREL (il descend à droite de Dufausset et remonte)
Enfin, on vous donnera ce qu'il y aura !

MARTHE
Je vais m'en occuper !

DUFAUSSET
Ah ! Madame, je suis confus !

MARTHE
Monsieur…
(Elle sort par la droite.)


DUFAUSSET
Elle a rougi ! Elle m'a reconnu ! Elle est exquise !… (Gagnant la droite.)
Mais qui est-elle cette dame ?… La femme de Pacarel ou de l'autre ?… On m'a présenté tout le monde en bloc…

PACAREL
Et, maintenant, si vous voulez bien, à table… car nous n'avons pas tout à fait fini.

DUFAUSSET
Vraiment… oh ! mais alors je ne veux pas déranger le service… je prendrai où vous en êtes.
(Tout le monde s'assied à sa place respective. Dufausset prend place entre Pacarel et Amandine sur la chaise que la bonne a été chercher à droite, entre la porte et le piano, et lui a avancée.)


PACAREL
Ah ! bien, si vous voulez ! (À Tiburce.)
Tiburce. servez toujours un rince-bouche à monsieur. (À Dufausset.)
Comme cela vous ne serez pas obligé d'en reprendre un à la fin du repas.

DUFAUSSET (avec le rince-bouche)
À votre santé, Messieurs, Mesdames.

LANDERNAU
Eh ! là… attendez donc… ça n'est pas fait pour les toasts.

MARTHE (rentrant de droite)
Voilà ! J'ai donné les ordres, on va vous servir quelque chose… (À Amandine.)
En même temps voici le panier…
(Elle le dépose sur le piano, et regagne sa place à table.)


PACAREL (à Dufausset. pendant que Tiburce lui présente un plat)
Vous savez que vous n'aurez pas d'autre logement que le nôtre… Le Parc des Princes est très sain pour la voix… Ainsi vous ne pouvez refuser… Vous serez au premier, à côté de ma chambre…
Vue sur le jardin… il y a un piano.
(Pendant ce qui précède, Julie s'est levée et prépare le café.)


DUFAUSSET
Oh ! ça !…

PACAREL
Je vous préviens qu'il est à queue.

DUFAUSSET
Tant pis… Ça tient plus de place… Enfin, j'y mettrai mon linge.
(On se lève, les domestiques débarrassent la table.)


JULIE (présentant une tasse de café à Dufausset)
Monsieur, un peu de café ?…

DUFAUSSET
Très volontiers.

PACAREL
Non, c'est excitant… fais-lui faire un lait de poule.

DUFAUSSET
Mais, je le déteste…

LANDERNAU
Ça ne fait rien… ça veloute le gosier…
(Il remonte.)


DUFAUSSET
Mais je n'ai pas besoin de velouté…

AMANDINE
Ah ! ici il faut obéir.

DUFAUSSET
Allons, ils me mettent au régime…

JULIE
Je vais le commander.

PACAREL
C'est cela, soigne ton futur interprète… car c'est elle, c'est cette belle jeune fille qui a fait l'opéra.

DUFAUSSET
Ah ! (Saluant.)
Mademoiselle Garnier…

PACAREL
Mais Dufausset a dû vous en parler.

DUFAUSSET
Euh !… vaguement… en tout cas il ne s'est pas étendu…

PACAREL
Eh ! bien voilà… c'est elle.

DUFAUSSET
Ah ! j'en suis bien aise… beau monument !

PACAREL (bas à Julie)
Il a dit : "J'en suis bien aise", tu as entendu ?

JULIE
Oui… Ah ! il est charmant ce jeune homme ! mieux que mon fiancé (Haut)
Je vous mettrai beaucoup de fleur d'oranger
(Elle sort par la droite.)


MARTHE
Un peu de liqueur, monsieur ?

DUFAUSSET
Oh ! madame, de votre blanche main… (À part.)
Elle est délicieuse… (Haut.)
Qu'est-ce que c'est ?(Il lit sur le cruchon.)
"Hunyadijanos", non merci !

PACAREL
Ne vous inquiétez pas, c'est une vieille bouteille.

DUFAUSSET
À la bonne heure !
(Entrée de la bonne pour remonter un peu la table et les chaises.)


PACAREL
Et maintenant, mes amis, je ne vous chasse pas, mais nous avons à causer ensemble, Monsieur et moi

LANDERNAU
Cela se trouve bien, j'ai justement à travailler… Venez-vous, mesdames… À tout à l'heure !
(Tous sortent par le fond, excepté Pacarel et Dufausset.)

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