Acte III - Scène XI



LES MÊMES, MOINS PACAREL
Dufausset arpente la scène au pas militaire, allant du fond à l'avant-scène et réciproquement.

JULIE
Eh bien, rien de nouveau ?

LANOIX
Rien… j'attends un joint… jusqu'à nouvel ordre, nous continuons à dissimuler.

JULIE
Moi, je n'ose pas dire à papa… j'aime mieux que ça vienne de votre côté.

LANOIX
C'est comme moi avec ma mère… je voudrais que ça arrivât de vous.

DUFAUSSET
Je dois avoir l'air d'un tatou…

JULIE
Il est évident que vous n'avez rien de ce qu'il faut pour être mon époux.
(Dufausset lance de temps en temps des vocalises.)


LANOIX
C'est comme vous, je reconnais que vous êtes très gentille, mais vous n'êtes pas du tout mon type.

JULIE
D'abord vous avez le nez trop long.

LANOIX
Moi, je n'aime que les blondes.

DUFAUSSET
S'épanchent-ils tout de même !

JULIE
Et puis je n'aime pas les peintres… On ne peut pas les toucher sans se fourrer de la couleur.

LANOIX
Eh bien, moi, comme peintre, je n'aime que les cocottes, parce que là on est sûr d'en trouver, de la couleur.

JULIE (. , passant au deuxième plan)
Oh ! Oh ! vous avez dit "cocotte".

LANOIX
Pardon, j'aurais dû tourner ma langue.

JULIE
Oh ! non… ça m'est égal !… je ne dois pas savoir ce que cela veut dire.

DUFAUSSET (vocalisant)
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

LANOIX
Dites-moi… pourquoi est-ce qu'il se promène comme ça, ce monsieur ?… Il ne vous fait pas mal au cœur ?

JULIE
Oh ! pauvre garçon… c'est qu'il est jaloux… il croit que je dois vous épouser… et il m'aime, lui… il me l'a fait sous-entendre.

LANOIX
Allons-donc… eh bien, et vous ?

JULIE
Moi, dame… il ne me déplairait pas.

LANOIX
Alors, faites-le lui sous-entendre aussi.

JULIE
Comment, devant vous ?

LANOIX
Oh ! moi, ça m'est égal… je n'écouterai pas.

JULIE
Après tout, ça n'est que pour le rassurer… On n'a pas le droit de laisser souffrir son prochain quand on peut calmer sa souffrance. (À Dufausset.)
Psstt ! !

DUFAUSSET (s'arrêtant)
Pardon, c'est à moi ?…

LANOIX
Oui, allez, allez !
(Dufausset s'avance près de Julie. Lanoix gagne la place de Dufausset et se met, exactement comme le faisait ce dernier, à marcher de long en large.)


DUFAUSSET
Vous m'appelez, mademoiselle ?

JULIE
Oui, je tiens à vous rassurer… vous êtes là sur des charbons. Eh bien, calmez-vous, monsieur Lanoix que l'on croit mon fiancé, ne sera jamais mon mari.

DUFAUSSET
Comment !

LANOIX (tout en arpentant la scène, redescendant au deuxième plan entre Dufausset et Julie et sans interrompre sa marche)
Non, jamais, jamais !
(Il remonte.)


DUFAUSSET
Mais pourquoi me dites-vous ça ?

JULIE
Mais parce que… parce que, après votre aveu, je n'ai pas le droit de m'amuser d'un jeu cruel qui doit vous faire souffrir.

DUFAUSSET
Hein ?

JULIE
Je ne suis point coquette, moi… et je trouve qu'il est mal lorsqu'on sait que quelqu'un a de… de la sympathie pour vous… de prendre plaisir à le chagriner par des airs de dédain et des épreuves inutiles, qui sont censément pour le stimuler.

DUFAUSSET
Tiens ! tiens ! tiens !

JULIE
Or, j'ai bien vu… combien vous étiez agacé… vous trépignez là depuis cinq minutes… j'ai peut- être tort de vous parler de la sorte… Madame Landernau m'a toujours dit : "En amour, il ne faut jamais s'avancer, il faut laisser venir…" mais en somme c'est vous qui avez fait les premiers pas… je puis bien m'avancer un peu à mon tour.

DUFAUSSET (à part)
Mais elle est charmante… et moi qui n'y faisais pas attention… (Haut.)
Est-il possible, mademoiselle, que vous me parliez de la sorte ?

LANOIX (fredonnant)
"Ah ! il a des bottes, il a des bottes, bottes bottes"…

DUFAUSSET
Et dire, mademoiselle, qu'on peut être assez aveugle pour venir dans cette maison, et pour ne pas tomber immédiatement amoureux de vos charmes.

JULIE (passant au premier plan)
Oui, mais ça n'est pas votre cas.

DUFAUSSET
Moi !

JULIE (à Lanoix)
C'est plutôt pour vous qu'on peut dire ça ! attrape !

LANOIX
Pas de personnalités, s'il vous plaît !

JULIE (à Dufausset)
Oh ! non, ça n'est pas votre cas… car vous m'avez bien vue tout de suite… Ah ! mais moi aussi, vous savez… Aussi quand vous m'avez fait l'aveu de vos sentiments…

DUFAUSSET
Moi ? je vous ai fait… quand donc ?

JULIE
Ah ! il ne se rappelle plus… mais ici ! quand vous étiez en colère après papa… alors, ça vous a échappé… vous m'avez dit : "Ah ! c'est moi qui m'en irais, si je n'étais retenu par les charmes d'une jeune personne…" Alors, j'ai compris. L'avez-vous dit, oui ou non ?

DUFAUSSET
Oui, oui… mais je crois bien que je l'ai dit et je ne m'en dédis pas… je le répète… je vous aime…

JULIE
Eh bien, voulez-vous que je vous dise, moi aussi, mais là, vraiment.

DUFAUSSET
Elle est délicieuse. (Tombant à genoux.)
Ah ! Julie.!

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024