Acte II - Scène première


Un salon de campagne, toujours au Parc des Princes. Portes à droite, premier et deuxième plans.
À gauche, premier plan, une cheminée.
Deuxième plan, une porte. Au fond, grande baie donnant sur le jardin.
À droite, derrière le canapé, une chaise volante. À gauche, un guéridon, avec une chaise de chaque côté.


TIBURCE. PUIS AMANDINE PUIS LANOIX.

TIBURCE (assis au petit guéridon, fait de la tapisserie dans un canevas qui représente un zouave)
Oh ! que c'est bête la vie. On admet qu'un amant aime sa maîtresse, et on n'admet pas qu'un domestique aime sa maîtresse… pourtant le mot est le même !… Où est la nuance ?… Ah !…
Amandine, tu ne m'as pas compris. (Se levant.)
Ce que j'aime en toi… c'est ta surface… on doit aimer pour deux avec toi… tu fais du profit… Mais un jour, j'ai eu l'audace de t'avouer mon amour… Tu m'as appelé Ruy-Blas !… Et tu m'as envoyé promener ! Alors, pour me consoler… il ne me reste plus de temps en temps, quand tu n'est pas là, qu'à faire quelques points dans ta tapisserie, dans ton zouave… (Se rasseyant.)
Je sais bien que tu défais chaque fois mes points… mais ça m'est égal, je recommence et ça me fait du bien.

AMANDINE (du fond)
Eh bien ! Tiburce. qu'est-ce que vous faites là ?…

TIBURCE (se levant)
Rien, je… Madame voit, je tapisse…

AMANDINE
Ma tapisserie… Eh bien ! vous avez de l'aplomb ?… Et moi qui me demandais toujours qui me faisait des points à l'envers…

TIBURCE
C'était moi, Madame… J'étais si heureux de collaborer avec Madame…

AMANDINE
Hein ! il ose… Allez ! et que cela ne vous arrive plus !
(Elle s'assied sur le canapé.)


TIBURCE
Oui, Madame… (À part.)
Cette femme ne m'aimera jamais ! Une femme si forte en chair ! Oh !
ma livrée, que tu me pèses !
Il sort au fond à droite.

AMANDINE
Non, mais a-t-on idée de cela !… Rangeons cet ouvrage. (Elle ouvre le panier à ouvrage.)
Ciel !… encore un billet de Dufausset.!… L'imprudent !… Il met cela dans mon panier. On n'aurait qu'à le trouver… voyons !…

LANOIX (entrant du fond, un bouquet à la main)
Il n'y a donc personne dans cette maison… (Apercevant Amandine.)
Ah ! Bibiche !

AMANDINE (lisant sans le voir)
"Il faut absolument que je vous parle. "

LANOIX (saluant)
Madame…

AMANDINE (lisant)
"Vous avez bien voulu m'encourager, eh bien ! je me risque…"

LANOIX
Elle n'a pas l'air de m'entendre… Madame !…

AMANDINE
Il se risque !… Je ne comprends pas ce garçon !… Il est si éloquent dans ses écrits et laconique dans ses discours !

LANOIX
Elle est donc sourde comme une pioche… (Criant.)
Madame…

AMANDINE (tressautant)
Hein !… Quoi !… Qu'est-ce que vous avez à crier comme ça ?

LANOIX
Je vous demande pardon, mais voilà deux fois que je susurre… alors j'ai un peu élevé le susurrement… Et vous allez bien, Madame ?

AMANDINE
Oui, c'est bon, tout à l'heure… (Lisant.)
"Je me risque…"

LANOIX
Et moi, j'ai été très souffrant toute la nuit.

AMANDINE (passant au premier plan)
Allons ! tant mieux ! tant mieux !

LANOIX
Je vous remercie… (À part.)
Elle n'a pas plus l'air de s'occuper de moi…

AMANDINE (lisant)
"Le jour on n'est pas tranquille… accordez-moi cette nuit une entrevue dans la serre. " (Parlé.)
Hein !

LANOIX
Vous ne pourriez pas me dire, au moins, où je pourrais trouver ma fiancée ?

AMANDINE (tout à son idée)
"Dans la serre…"

LANOIX
Dans la serre !… merci !… (Remontant en courant.)
Je vais la rejoindre.
(Il sort au fond, à droite.)


AMANDINE (allant vers la gauche)
Dans la serre !… Il ne doute de rien. (Lisant.)
"je vous jure que ce sera en tout bien tout honneur…" Ça c'est des bêtises… (Lisant.)
"Réfléchissez… je suis un galant homme…" Oui, très galant, très galant… (Lisant.)
"Si vous consentez, dites à votre mari d'agiter son mouchoir quand il me verra, en chantant à votre choix "Colimaçon borgne" ou "Coucou, ah ! le voilà ! " et vous indiquerez l'heure par autant de raies que vous tracerez à la craie dans son dos… Vous me rendrez bien heureux…" Je vous dis… il est éloquent dans ses écrits… (Lisant.)
"À propos… j'ai trouvé des jarretières… mais on me demande la mesure !…" Il y tient à ses jarretières !…

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