LVII
On a des nouvelles d’Aramis


D’Artagnan s’était rendu droit aux écuries. Le jour venait de paraître ; il reconnut son cheval et celui de Porthos attachés au râtelier, mais au râtelier vide. Il eut pitié de ces pauvres animaux, et s’achemina vers un coin de l’écurie où il voyait reluire un peu de paille échappée sans doute à la razzia de la nuit ; mais en rassemblant cette paille avec le pied, le bout de sa botte rencontra un corps rond qui, touché sans doute à un endroit sensible, poussa un cri et se releva sur ses genoux en se frottant les yeux. C’était Mousqueton, qui, n’ayant plus de paille pour lui-même, s’était accommodé de celle des chevaux.

— Mousqueton, dit d’Artagnan, allons, en route ! en route !

Mousqueton, en reconnaissant la voix de l’ami de son maître, se leva précipitamment, et en se relevant laissa choir quelques-uns des louis gagnés illégalement pendant la nuit.

— Oh ! oh ! dit d’Artagnan en ramassant un louis et en le flairant, voilà de l’or qui a une drôle d’odeur, il sent la paille.

Mousqueton rougit si honnêtement et parut si fort embarrassé, que le Gascon se mit à rire et lui dit : — Porthos se mettrait en colère, mon cher monsieur Mouston, mais moi je vous pardonne ; seulement, rappelons-nous que cet or doit nous servir de topique pour notre blessure, et soyons gai, allons !

Mousqueton prit à l’instant même une figure des plus hilares, sella avec activité le cheval de son maître et monta sur le sien sans trop faire de grimace.

Sur ces entrefaites, Porthos arriva avec une figure fort maussade, et fut on ne peut plus étonné de trouver d’Artagnan résigné et Mousqueton presque joyeux.

— Ah çà, dit-il, nous avons donc, vous votre grade, et moi ma baronnie ?

— Nous allons en chercher les brevets, dit d’Artagnan, et à notre retour maître Mazarini les signera.

— Et où allons-nous ? demanda Porthos.

— À Paris d’abord, répondit d’Artagnan ; j’y veux régler quelques affaires.

— Allons à Paris, dit Porthos.

Et tous deux partirent pour Paris.

En arrivant aux portes ils furent étonnés de voir l’attitude menaçante de la capitale. Autour d’un carosse brisé en morceaux le peuple vociférait des imprécations, tandis que les personnes qui avaient voulu fuir étaient prisonnières : c’étaient un vieillard et deux femmes.

Lorsque au contraire d’Artagnan et Porthos demandèrent l’entrée, il n’est sortes de caresses qu’on ne leur fît. On les prenait pour des déserteurs du parti royaliste et on voulait se les attacher.

— Que fait le roi ? demanda-t-on.

— Il dort.

— Et l’Espagnole ?

— Elle rêve.

— Et l’Italien maudit ?

— Il veille. Ainsi tenez-vous ferme ; car s’ils sont partis, c’est bien certainement pour quelque chose. Mais comme, au bout du compte, vous êtes les plus forts, continua d’Artagnan, ne vous acharnez pas après des femmes et des vieillards, laissez aller ces dames et prenez-vous-en aux causes véritables.

Le peuple entendit ces paroles avec plaisir et laissa aller les dames, qui remercièrent d’Artagnan par un éloquent regard.

— Maintenant, en avant ! dit d’Artagnan.

Et ils continuèrent leur chemin, traversant les barricades, enjambant les chaînes, poussés, interrogés, interrogeant.

À la place du Palais-Royal, d’Artagnan vit un sergent qui faisait faire l’exercice à cinq ou six cents bourgeois : c’était Planchet qui utilisait au profit de la milice urbaine ses souvenirs du régiment de Piémont.

En passant devant d’Artagnan, il reconnut son ancien maître.

— Bonjour, monsieur d’Artagnan, dit Planchet d’un air fier.

— Bonjour, monsieur Dulaurier, répondit d’Artagnan.

Planchet s’arrêta court, fixant sur d’Artagnan de grands yeux ébahis ; le premier rang voyant son chef s’arrêter, s’arrêta à son tour, ainsi de suite jusqu’au dernier.

— Ces bourgeois sont affreusement ridicules, dit d’Artagnan à Porthos ; et il continua son chemin.

Cinq minutes après, ils mettaient pied à terre à l’hôtel de la Chevrette. La belle Madeleine se précipita au-devant de d’Artagnan.

— Ma chère madame Turquaine, dit d’Artagnan, si vous avez de l’argent, enfouissez-le vite ; si vous avez des bijoux, cachez-les promptement ; si vous avez des débiteurs, faites-vous payer ; si vous avez des créanciers, ne les payez pas.

— Pourquoi cela ? demanda Madeleine.

— Parce que Paris va être réduit en cendres, ni plus ni moins que Babylone, dont vous avez sans doute entendu parler.

— Et vous me quittez dans un pareil moment !

— À l’instant même, dit d’Artagnan.

— Et où allez-vous ?

— Ah ! si vous pouvez me le dire, vous me rendrez un véritable service.

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

— Avez-vous des lettres pour moi ? demanda d’Artagnan en faisant signe de la main à son hôtesse qu’elle devait s’épargner des lamentations, attendu que les lamentations seraient superflues.

— Il y en a une qui vient justement d’arriver.

Et elle donna la lettre à d’Artagnan.

— D’Athos ! s’écria d’Artagnan en reconnaissant l’écriture ferme et allongée de leur ami.

— Ah ! fit Porthos, voyons un peu quelles choses il dit.

D’Artagnan ouvrit la lettre et lut :

« Cher d’Artagnan, cher du Vallon, mes bons amis, peut-être recevez-vous de mes nouvelles pour la dernière fois. Aramis et moi nous sommes bien malheureux ; mais Dieu, notre courage et le souvenir de notre amitié nous soutiennent. Pensez bien à Raoul. Je vous recommande les papiers qui sont à Blois, et dans deux mois et demi, si vous n’avez pas reçu de nos nouvelles, prenez-en connaissance. Embrassez le vicomte de tout votre cœur pour votre ami dévoué.

« Athos. »
— Je le crois pardieu bien, que je l’embrasserai, dit d’Artagnan, avec cela qu’il est sur notre route, et s’il a le malheur de perdre notre pauvre Athos, de ce jour il devient mon fils.

— Et moi, dit Porthos, je le fais mon légataire universel.

— Voyons, que dit encore Athos ?

« Si vous rencontrez par les routes un M. Mordaunt, défiez-vous-en. Je ne puis vous en dire davantage dans ma lettre. »

— M. Mordaunt ! dit avec surprise d’Artagnan.

— M. Mordaunt, c’est bon, dit Porthos, on s’en souviendra. Mais, voyez donc, il y a un post-scriptum d’Aramis.

— En effet, dit d’Artagnan, et il lut :

« Nous vous cachons le lieu de notre séjour, chers amis, connaissant votre dévoûment fraternel, et sachant bien que vous viendriez mourir avec nous. »

— Sacrebleu ! interrompit Porthos avec une explosion de colère qui fit bondir Mousqueton à l’autre bout de la chambre, sont-ils donc en danger de mort ?

D’Artagnan continua :

« Athos vous lègue Raoul, et moi je vous lègue une vengeance. Si vous mettez par bonheur la main sur un certain Mordaunt, dites à Porthos de l’emmener dans un coin et de lui tordre le cou. Je n’ose vous en dire davantage dans une lettre.

« Aramis. »
— Si ce n’est que cela, dit Porthos, c’est facile à faire.

— Au contraire, dit d’Artagnan d’un air sombre, c’est impossible.

— Et pourquoi cela ?

— C’est justement ce M. Mordaunt que nous allons rejoindre à Boulogne et avec lequel nous passons en Angleterre.

— Eh bien ! si au lieu d’aller rejoindre ce M. Mordaunt, nous allions rejoindre nos amis ? dit Porthos avec un geste capable d’épouvanter une armée.

— J’y ai bien pensé, dit d’Artagnan ; mais la lettre n’a ni date ni timbre.

— C’est juste, dit Porthos.

Et il se mit à errer dans la chambre comme un homme égaré, gesticulant et tirant à tout moment son épée au tiers du fourreau.

Quant à d’Artagnan, il restait debout comme un homme consterné, et la plus profonde affliction se peignait sur son visage.

— Ah ! c’est mal, disait-il ; Athos nous insulte ; il veut mourir seul, c’est mal.

Mousqueton voyant ces deux grands désespoirs, fondait en larmes dans son coin.

— Allons, dit d’Artagnan, tout cela ne mène à rien. Partons, allons embrasser Raoul comme nous avons dit, et peut-être aura-t-il reçu des nouvelles d’Athos.

— Tiens, c’est une idée, dit Porthos ; en vérité, mon cher d’Artagnan, je ne sais pas comment vous faites, mais vous êtes plein d’idées. Allons embrasser Raoul.

— Gare à celui qui regarderait mon maître de travers en ce moment, dit Mousqueton, je ne donnerais pas un denier de sa peau.

On monta à cheval et l’on partit. En arrivant à la rue Saint-Denis, les amis trouvèrent un grand concours de peuple. C’était M. de Beaufort qui venait d’arriver du Vendômois et que le coadjuteur montrait aux Parisiens émerveillés et joyeux. Avec M. de Beaufort, ils se regardaient désormais comme invincibles.

Les deux amis prirent par une petite rue pour ne pas rencontrer le prince et gagnèrent la barrière Saint-Denis.

— Est-il vrai, dirent les gardes aux deux cavaliers, que M. de Beaufort est arrivé dans Paris ?

— Rien de plus vrai, dit d’Artagnan et la preuve, c’est qu’il nous envoie au-devant de M. de Vendôme, son père, qui va arriver à son tour.

— Vive M. de Beaufort ! crièrent les gardes, et ils s’écartèrent respectueusement pour laisser passer les envoyés du grand prince.

Une fois hors barrière, la route fut dévorée par ces gens qui ne connaissaient ni fatigue ni découragement ; leurs chevaux volaient, et eux ne cessaient de parler d’Athos et d’Aramis.

Mousqueton souffrait tous les tourments imaginables, mais l’excellent serviteur se consolait en pensant que ses deux maîtres éprouvaient bien d’autres souffrances. Car il était arrivé à regarder d’Artagnan comme son second maître et lui obéissait même plus promptement et plus correctement qu’à Porthos.

Le camp était entre Saint-Omer et Lambe ; les deux amis firent un crochet jusqu’au camp et apprirent en détail à l’armée la nouvelle de la fuite du roi et de la reine, qui était arrivée sourdement jusque-là. Ils trouvèrent Raoul près de sa tente, couché sur une botte de foin dont son cheval tirait quelques bribes à la dérobée. Le jeune homme avait les yeux rouges et semblait abattu. Le maréchal de Grammont et le comte de Guiche étaient revenus à Paris, et le pauvre enfant se trouvait tout isolé.

Au bout d’un instant Raoul leva les yeux et vit les deux cavaliers qui le regardaient ; il les reconnut et courut à eux les bras ouverts.

— Oh ! c’est vous, chers amis, s’écria-t-il, me venez-vous chercher ? m’emmenez-vous avec vous ? m’apportez-vous des nouvelles de mon tuteur ?

— N’en avez-vous donc point reçu ? demanda d’Artagnan au jeune homme.

— Hélas ! non, monsieur, et je ne sais en vérité ce qu’il est devenu. De sorte, oh ! de sorte que je suis inquiet à en pleurer.

Et effectivement deux grosses larmes roulaient sur les joues brunies du jeune homme. Porthos détourna la tête pour ne pas laisser voir sur sa bonne grosse figure ce qui se passait dans son cœur.

— Que diable ! dit d’Artagnan plus remué qu’il ne l’avait été depuis bien longtemps, ne vous désespérez point, mon ami ; si vous n’avez point reçu de lettres du comte, nous avons reçu, nous… une…

— Oh ! vraiment ? s’écria Raoul.

— Et bien rassurante même, dit d’Artagnan en voyant la joie que cette nouvelle causait au jeune homme.

— L’avez-vous ? demanda Raoul.

— Oui ; c’est-à-dire je l’avais, dit d’Artagnan en faisant semblant de chercher ; attendez, elle doit être là, dans ma poche ; il me parle de son retour, n’est-ce pas, Porthos ?

Tout Gascon qu’il était, d’Artagnan ne voulait pas prendre à lui seul le fardeau de ce mensonge.

— Oui, dit Porthos en toussant.

— Oh ! donnez-la-moi, dit le jeune homme.

— Eh ! je la lisais encore tantôt. Est-ce que je l’aurai perdue ! Ah ! pécaïre, ma poche est percée.

— Oh ! oui, monsieur Raoul, dit Mousqueton, et la lettre était même très consolante ; ces messieurs me l’ont lue et j’en ai pleuré de joie.

— Mais au moins, monsieur d’Artagnan, vous savez où il est ? demanda Raoul à moitié rasséréné.

— Ah ! voilà, dit d’Artagnan, certainement que je le sais, pardieu ! mais c’est un mystère.

— Pas pour moi, j’espère.

— Non, pas pour vous, aussi je vais vous dire où il est.

Porthos regardait d’Artagnan avec ses grands yeux étonnés.

— Où diable vais-je dire qu’il est pour qu’il n’essaye pas d’aller le rejoindre ? murmurait d’Artagnan.

— Eh bien ! où est-il, Monsieur ? demanda Raoul de sa voix douce et caressante.

— Il est à Constantinople !

— Chez les Turcs ! s’écria Raoul effrayé. Bon Dieu ! que me dites-vous là ?

— Eh bien ! cela vous fait peur ? dit d’Artagnan. Bah ! qu’est-ce que les Turcs pour des hommes comme le comte de la Fère et l’abbé d’Herblay !

— Ah ! son ami est avec lui ? dit Raoul, cela me rassure un peu.

— A-t-il de l’esprit, ce démon de d’Artagnan ! disait Porthos tout émerveillé de la ruse de son ami.

— Maintenant, dit d’Artagnan, pressé de changer le sujet de la conversation, voilà cinquante pistoles que M. le comte vous envoyait par le même courrier. Je présume que vous n’avez plus d’argent et qu’elles sont les bienvenues.

— J’ai encore vingt pistoles, monsieur.

— Eh bien ! prenez toujours, cela vous en fera soixante-dix.

— Et si vous en voulez davantage… dit Porthos mettant la main à son gousset.

— Merci, dit Raoul en rougissant, merci mille fois, monsieur.

En ce moment, Olivain parut à l’horizon.

— À propos, dit d’Artagnan de manière que le laquais l’entendît, êtes-vous content d’Olivain ?

— Oui, assez comme cela.

Olivain fit semblant de n’avoir rien entendu et entra dans la tente.

— Que lui reprochez-vous à ce drôle-là ?

— Il est gourmand, dit Raoul.

— Oh ! monsieur ! dit Olivain reparaissant à cette accusation.

— Il est un peu voleur.

— Oh ! monsieur, oh !

— Et surtout il est fort poltron.

— Oh ! oh ! oh ! monsieur, vous me déshonorez, dit Olivain.

— Peste ! dit d’Artagnan, apprenez, maître Olivain, que des gens tels que nous ne se font pas servir par des poltrons. Volez votre maître, mangez ses confitures et buvez son vin, mais, cap de Diou, ne soyez pas poltron, ou je vous coupe les oreilles. Regardez monsieur Mouston, dites-lui de vous montrer les blessures honorables qu’il a reçues, et voyez ce que sa bravoure habituelle a mis de dignité sur son visage.

Mousqueton était au troisième ciel et eût embrassé d’Artagnan s’il l’eût osé ; en attendant, il se promettait de se faire tuer pour lui si l’occasion s’en présentait jamais.

— Renvoyez ce drôle, Raoul, dit d’Artagnan, car s’il est poltron, il se déshonorera quelque jour.

— Monsieur dit que je suis poltron, s’écria Olivain, parce qu’il a voulu se battre l’autre jour avec un cornette du régiment de Grammont, et que j’ai refusé de l’accompagner.

— Monsieur Olivain, un laquais ne doit jamais désobéir, dit sévèrement d’Artagnan.

Et le tirant à l’écart :

— Tu as bien fait, dit-il, si ton maître avait tort, et voici un écu pour toi ; mais s’il est jamais insulté et que tu ne te fasses pas couper en quartiers près de lui, je te coupe la langue et je t’en balaie la figure. Retiens bien ceci.

Olivain s’inclina et mit l’écu dans sa poche.

— Et maintenant, ami Raoul, dit d’Artagnan, nous partons, M. du Vallon et moi, comme ambassadeurs. Je ne puis vous dire dans quel but, je n’en sais rien moi-même ; mais si vous avez besoin de quelque chose, écrivez à Mme Madelon Turquaine, à la Chevrette, rue Tiquetonne, et tirez sur cette caisse comme sur celle d’un banquier, avec ménagement toutefois, car je vous préviens qu’elle n’est pas tout à fait si bien garnie que celle de M. d’Émery.

Et ayant embrassé son pupille par intérim, il le passa aux robustes bras de Porthos, qui l’enlevèrent de terre et le tinrent un moment suspendu sur le noble cœur du redoutable géant.

— Allons, dit d’Artagnan, en route.

Et ils repartirent pour Boulogne, où vers le soir ils arrêtèrent leurs chevaux trempés de sueur et blancs d’écume.

À dix pas de l’endroit où ils faisaient halte avant d’entrer en ville, était un jeune homme vêtu de noir qui paraissait attendre quelqu’un, et qui, du moment où il les avait vus paraître n’avait point cessé d’avoir les yeux fixés sur eux. D’Artagnan s’approcha de lui, et voyant que son regard ne le quittait pas :

— Hé, dit-il, l’ami, je n’aime pas qu’on me toise.

— Monsieur, dit le jeune homme sans répondre à l’interpellation de d’Artagnan, ne venez-vous pas de Paris, s’il vous plaît ?

D’Artagnan pensa que c’était un curieux qui désirait avoir des nouvelles de la capitale.

— Oui, monsieur, dit-il d’un ton plus radouci.

— Ne devez-vous pas loger aux Armes d’Angleterre ?

— Oui, monsieur.

— N’êtes-vous pas chargé d’une mission de la part de Son Éminence monsieur le cardinal de Mazarin ?

— Oui, monsieur.

— En ce cas, dit le jeune homme, c’est à moi que vous avez affaire ; je suis M. Mordaunt.

— Ah ! dit tout bas d’Artagnan, celui dont Athos me dit de me défier.

— Ah ! murmura Porthos, celui qu’Aramis veut que j’étrangle.

Tous deux regardèrent attentivement le jeune homme.

Celui-ci se trompa à l’expression de leur regard.

— Douteriez-vous de ma parole ? dit-il ; en ce cas je suis prêt à vous donner toute preuve.

— Non, monsieur, dit d’Artagnan, et nous nous mettons à votre disposition.

— Eh bien ! messieurs, dit Mordaunt, nous partirons sans retard. Car c’est aujourd’hui le dernier jour de délai que m’avait demandé le cardinal. Mon bâtiment est prêt, et, si vous n’étiez venus, j’allais partir sans vous, car le général Olivier Cromwell doit attendre mon retour avec impatience.

— Ah ! ah ! dit d’Artagnan, c’est donc au général Olivier Cromwell que nous sommes dépêchés ?

— N’avez-vous donc pas une lettre pour lui ? demanda le jeune homme.

— J’ai une lettre dont je ne devais rompre la double enveloppe qu’à Londres ; mais puisque vous me dites à qui elle est adressée, il est inutile que j’attende jusque-là.

D’Artagnan déchira l’enveloppe de la lettre. Elle était en effet adressée « À monsieur Olivier Cromwell, général des troupes de la nation anglaise. »

— Ah ! fit d’Artagnan, singulière commission !

— Qu’est-ce que ce monsieur Olivier Cromwell ? demanda tout bas Porthos.

— Un ancien brasseur, répondit d’Artagnan.

— Est-ce que le Mazarin voudrait faire une spéculation sur la bière comme nous en avons fait sur la paille ? demanda Porthos.

— Allons, allons, messieurs, dit Mordaunt impatient, partons.

— Oh ! oh ! dit Porthos, sans souper ? Est-ce que M. Cromwell ne peut pas bien attendre un peu ?

— Oui, mais moi, dit Mordaunt.

— Eh bien ! vous, dit Porthos, après ?

— Moi, je suis pressé.

— Oh ! si c’est pour vous, dit Porthos, la chose ne me regarde pas, et je souperai avec votre permission ou sans votre permission.

Le regard vague du jeune homme s’enflamma et parut prêt à jeter un éclair, mais il se contint.

— Monsieur, continua d’Artagnan, il faut excuser des voyageurs affamés. D’ailleurs notre souper ne vous retardera pas beaucoup, nous allons piquer jusqu’à l’auberge. Allez à pied jusqu’au port, nous mangeons un morceau et nous y sommes en même temps que vous.

— Tout ce qu’il vous plaira, messieurs, pourvu que nous partions, dit Mordaunt.

— C’est bien heureux, murmura Porthos.

— Le nom du bâtiment ? demanda d’Artagnan.

— Le Standard.

— C’est bien. Dans une demi-heure nous serons à bord.

Et tous deux donnant de l’éperon à leurs chevaux piquèrent vers l’hôtel des Armes d’Angleterre.

— Que dites-vous de ce jeune homme ? demanda d’Artagnan tout en courant.

— Je dis qu’il ne me revient pas du tout, dit Porthos, et que je me suis senti une rude démangeaison de suivre le conseil d’Aramis.

— Gardez-vous-en, mon cher Porthos, cet homme est un envoyé du général Cromwell, et ce serait une façon de nous faire pauvrement recevoir, je crois, que de lui annoncer que nous avons tordu le cou à son confident.

— C’est égal, dit Porthos, j’ai toujours remarqué qu’Aramis était homme de bon conseil.

— Écoutez, dit d’Artagnan, quand notre ambassade sera finie…

— Après ?

— S’il nous reconduit en France…

— Eh bien ?

— Eh bien, nous verrons.

Les deux amis arrivèrent sur ce à l’hôtel des Armes d’Angleterre, où ils soupèrent de grand appétit, puis incontinent ils se rendirent sur le port. Un brick était prêt à mettre à la voile, et, sur le pont de ce brick ils reconnurent Mordaunt, qui se promenait avec impatience.

— C’est incroyable, disait d’Artagnan, tandis que la barque le conduisait à bord du Standard, c’est étonnant comme ce jeune homme ressemble à quelqu’un que j’ai connu, mais je ne puis dire à qui.

Ils arrivèrent à l’escalier, et un instant après ils furent embarqués. Mais l’embarquement des chevaux fut plus long que celui des hommes, et le brick ne put lever l’ancre qu’à huit heures du soir. Le jeune homme trépignait d’impatience et commandait que l’on couvrit les mâts de voiles. Porthos, éreinté de trois nuits sans sommeil et d’une route de soixante-dix lieues faite à cheval, s’était retiré dans sa cabine et dormait. D’Artagnan, surmontant sa répugnance pour Mordaunt, se promenait avec lui sur le pont et faisait cent contes pour le forcer à parler. Mousqueton avait le mal de mer.

I
Le fantôme de Richelieu
II
Une ronde de nuit
III
Deux anciens ennemis
IV
Anne d’Autriche à quarante-six ans
V
Gascon et Italien
VI
D’Artagnan à quarante ans
VII
D’Artagnan est embarrassé, mais une de nos anciennes connaissances lui vient en aide
VIII
Des influences différentes que peut avoir une demi-pistole sur un bedeau et sur un enfant de chœur
IX
Comment d’Artagnan, en cherchant bien loin Aramis, s’aperçut qu’il était en croupe derrière Planchet
X
L’abbé d’Herblay
XI
Les deux Gaspards
XII
M. Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds
XIII
Comment d’Artagnan s’aperçut, en retrouvant Porthos, que la fortune ne fait pas le bonheur
XIV
Où il est démontré que si Porthos était mécontent de son état, Mousqueton était fort satisfait du sien
XV
Deux têtes d’ange
XVI
Le château de Bragelonne
XVII
La diplomatie d’Athos
XVIII
M. de Beaufort
XIX
Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de Vincennes
XX
Grimaud entre en fonctions
XXI
Ce que contenaient les pâtés du successeur du père Marteau
XXII
Une aventure de Marie Michon
XXIII
L’abbé Scarron
XXIV
Saint-Denis
XXV
Un des quarante moyens d’évasion de monsieur de Beaufort
XXVI
D’Artagnan arrive à propos
XXVII
La grande route
XXVIII
Rencontre
XXIX
Le bonhomme Broussel
XXX
Quatre anciens amis s’apprêtent à se revoir
XXXI
La place Royale
XXXII
Le bac de l’Oise
XXXIII
Escarmouche
XXXIV
Le moine
XXXV
L’absolution
XXXVI
Grimaud parle
XXXVII
La veille de la bataille
XXXVIII
Un dîner d’autrefois
XXXIX
La lettre de Charles Ier
XL
La lettre de Cromwell
XLI
Mazarin et Madame Henriette
XLII
Comment les malheureux prennent parfois le hasard pour la providence
XLIII
L’oncle et le neveu
XLIV
Paternité
XLV
Encore une reine qui demande secours
XLVI
Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon
XLVII
Le Te Deum de la victoire de Lens
XLVIII
Le mendiant de Saint-Eustache
XLIX
La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie
L
L’émeute
LI
L’émeute fait révolte
LII
Le malheur donne de la mémoire
LIII
L’entrevue
LIV
La fuite
LV
Le carrosse de M. le Coadjuteur
LVI
Comment d’Artagnan et Porthos gagnèrent, l’un deux cent dix-neuf, et l’autre deux cent quinze louis, à vendre de la paille
LVII
On a des nouvelles d’Aramis
LVIII
L’écossais, parjure à sa foi, pour un denier vendit son roi
LIX
Le vengeur
LX
Olivier Cromwell
LXI
Les gentilshommes
LXII
Jésus Seigneur
LXIII
Où il est prouvé que dans les positions les plus difficiles les grands cœurs ne perdent jamais le courage, ni les bons estomacs l’appétit
LXIV
Salut à la Majesté tombée
LXV
D’Artagnan trouve un projet
LXVI
La partie de lansquenet
LXVII
Londres
LXVIII
Le procès
LXIX
White-Hall
LXX
Les ouvriers
LXXI
Remember
LXXII
L’homme masqué
LXXIII
La maison de Cromwell
LXXIV
Conversation
LXXV
La Felouque l’Éclair
LXXVI
Le vin de Porto
LXXVII
Fatality
LXXVIII
Où, après avoir manqué d’être rôti, Mousqueton manqua d’être mangé
LXXIX
Retour
LXXX
Les ambassadeurs
LXXXI
Les trois lieutenants du généralissime
LXXXII
Le combat de Charenton
LXXXIII
La route de Picardie
LXXXIV
La reconnaissance d’Anne d’Autriche
LXXXV
La royauté de M. de Mazarin
LXXXVI
Précautions
LXXXVII
L’esprit et le bras
LXXXVIII
Le bras et l’esprit
LXXXIX
Les oubliettes de M. de Mazarin
XC
Conférences
XCI
Où l’on commence à croire que Porthos sera enfin baron et d’Artagnan capitaine
XCII
Comme quoi avec une plume et une menace on fait plus vite et mieux qu’avec l’épée et du dévouement
XCIII
Où il est prouvé qu’il est quelquefois plus difficile aux rois de rentrer dans la capitale de leur royaume que d’en sortir
XCIV
Conclusion

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