IV
Anne d’Autriche à quarante-six ans


Resté seul avec Bernouin, Mazarin demeura un instant pensif ; il en savait beaucoup et cependant il n’en savait pas encore assez. Mazarin était tricheur au jeu ; c’est un détail que nous a conservé Brienne : il appelait cela prendre ses avantages. Il résolut de n’entamer la partie avec d’Artagnan que lorsqu’il connaîtrait bien toutes les cartes de son adversaire.

— Monseigneur n’ordonne rien ? demanda Bernouin.

— Si fait, répondit Mazarin ; éclaire-moi, je vais chez la reine.

Bernouin prit un bougeoir et marcha le premier.

Il y avait un passage secret qui aboutissait des appartements et du cabinet de Mazarin aux appartements de la reine ; c’était par ce corridor que passait le cardinal pour se rendre à toute heure auprès d’Anne d’Autriche.

En arrivant dans la chambre à coucher où donnait ce passage, Bernouin rencontra Mme Beauvais. Mme Beauvais et Bernouin étaient les confidents intimes de ces amours surannées, et Mme Beauvais se chargea d’annoncer le cardinal à Anne d’Autriche, qui était dans son oratoire avec le jeune roi Louis XIV.

Anne d’Autriche, assise dans un grand fauteuil, le coude appuyé sur une table et la tête appuyée sur sa main, regardait l’enfant royal, qui, couché sur le tapis, feuilletait un grand livre de batailles. Anne d’Autriche était la reine qui savait le mieux s’ennuyer avec majesté ; elle restait quelquefois des heures ainsi retirée dans sa chambre ou dans son oratoire sans lire ni prier. Quant au livre avec lequel jouait le roi, c’était un Quinte-Curce enrichi de gravures représentant les hauts faits d’Alexandre.

Mme Beauvais apparut à la porte de l’oratoire et annonça le cardinal Mazarin.

L’enfant se releva sur un genou, le sourcil froncé, et regardant sa mère : — Pourquoi donc, dit-il, entre-t-il ainsi sans faire demander audience ?

Anne rougit légèrement.

— Il est important, répliqua-t-elle, qu’un premier ministre, dans les temps où nous sommes, puisse venir rendre compte à toute heure de ce qui se passe à la reine, sans avoir à exciter la curiosité ou les commentaires de toute la cour. — Mais il me semble que M. de Richelieu n’entrait pas ainsi, répondit l’enfant implacable. — Comment vous rappelez-vous ce que faisait M. de Richelieu ? Vous ne pouviez le savoir, vous étiez trop jeune. — Je ne me le rappelle pas ; je l’ai demandé et on me l’a dit. — Et qui vous a dit cela ? reprit Anne d’Autriche avec un mouvement d’humeur mal déguisé. — Je sais que je ne dois jamais nommer les personnes qui répondent aux questions que je leur fais, répondit l’enfant, ou sans cela je n’apprendrais plus rien.

En ce moment Mazarin entra. Le roi se leva alors tout à fait, prit son livre, le plia et alla le porter sur la table, près de laquelle il se tint debout pour forcer Mazarin à se tenir debout aussi.

Mazarin surveillait de son œil intelligent toute cette scène, à laquelle il semblait demander l’explication de celle qui l’avait précédée. Il s’inclina respectueusement devant la reine et fit une profonde révérence au roi, qui lui répondit par un salut de tête assez cavalier ; mais un regard de sa mère lui reprocha cet abandon aux sentiments de haine que dès son enfance Louis XIV avait voués au cardinal, et il accueillit, le sourire sur les lèvres, le compliment du ministre.

Anne d’Autriche cherchait à deviner sur le visage de Mazarin la cause de cette visite imprévue, le cardinal ordinairement ne venant chez elle que lorsque tout le monde était retiré.

Le ministre fit un signe de tête imperceptible ; alors la reine s’adressant à Mme Beauvais :

— Il est temps que le roi se couche, dit-elle ; appelez Laporte.

Déjà la reine avait dit deux ou trois fois au jeune Louis de se retirer, et toujours l’enfant avait tendrement insisté pour rester ; mais cette fois il ne fit aucune observation ; seulement il se pinça les lèvres et pâlit. Un instant après, Laporte entra. L’enfant alla droit à lui sans embrasser sa mère.

— Eh bien ! Louis, dit Anne, pourquoi ne m’embrassez-vous point ? — Je croyais que vous étiez fâchée contre moi, madame ; vous me chassez. — Je ne vous chasse pas ; seulement vous venez d’avoir la petite vérole, vous êtes souffrant encore, et je crains que veiller ne vous fatigue. — Vous n’avez pas eu la même crainte quand vous m’avez fait aller aujourd’hui au palais pour rendre ces méchants édits qui ont tant fait murmurer le peuple.

— Sire, dit Laporte pour faire diversion, à qui Votre Majesté veut-elle que je donne le bougeoir ? — À qui tu voudras, Laporte, répondit l’enfant, pourvu, ajouta-t-il à haute voix, que ce ne soit pas à M. Mancini.

M. Mancini était un neveu du cardinal que Mazarin avait placé près du roi comme enfant d’honneur et sur lequel Louis XIV reportait une partie de la haine qu’il avait pour son ministre.

Et le roi sortit sans embrasser sa mère et sans saluer le cardinal.

— À la bonne heure ! dit Mazarin ; j’aime à voir qu’on élève Sa Majesté dans l’horreur de la dissimulation. — Pourquoi cela ? demanda la reine d’une voix presque timide. — Mais il me semble que la sortie du roi n’a pas besoin de commentaires. D’ailleurs, Sa Majesté ne se donne pas la peine de cacher le peu d’affection qu’elle me porte, ce qui ne m’empêche pas, du reste, d’être tout dévoué à son service, comme à celui de Votre Majesté. — Je vous demande pardon pour lui, cardinal, dit la reine ; c’est un enfant qui ne peut encore savoir toutes les obligations qu’il vous a.

Le cardinal sourit.

— Mais, continua la reine, vous étiez venu sans doute pour quelque objet important. Qu’y a-t-il donc ?

Mazarin s’assit ou plutôt se renversa dans une large chaise, et d’un air mélancolique :

— Il y a, dit-il, que, selon toute probabilité, nous serons forcés de nous quitter bientôt, à moins que vous ne poussiez le dévoûment pour moi jusqu’à me suivre en Italie. — Et pourquoi cela ? demanda la reine. — Parce que, comme dit l’opéra de Thisbé, reprit Mazarin :

« Le monde entier conspire à diviser nos feux. »
— Vous plaisantez, monsieur, dit la reine en essayant de reprendre un peu de son ancienne dignité. — Hélas ! non, madame, dit Mazarin, je ne plaisante pas le moins du monde ; je pleurerais bien plutôt, je vous prie de le croire, et il y a de quoi ; car notez bien que j’ai dit :

« Le monde entier conspire à diviser nos feux. »
Or, comme vous faites partie du monde entier, je veux dire que vous aussi m’abandonnez ! — Cardinal ! — Eh ! mon Dieu ! ne vous ai-je pas vue sourire l’autre jour très agréablement à M. le duc d’Orléans ou plutôt à ce qu’il vous disait ? — Et que me disait-il ? — Il vous disait, madame : « C’est votre Mazarin qui est la pierre d’achoppement ; qu’il parte, et tout ira bien. » — Que vouliez-vous que je fisse ? — Oh ! madame, vous êtes la reine, ce me semble ! — Belle royauté ! à la merci du premier gribouilleur de paperasses du Palais-Royal ou du premier gentillâtre du royaume ! — Cependant vous êtes assez forte pour éloigner de vous les gens qui vous déplaisent ? — C’est-à-dire, qui vous déplaisent à vous, répondit la reine. — À moi ! — Sans doute. Qui a renvoyé Mme de Chevreuse, qui pendant douze ans avait été persécutée sous l’autre règne ?… — Une intrigante qui voulait continuer contre moi les cabales commencées contre M. de Richelieu ! — Qui a renvoyé Mme de Hautefort, cette amie si parfaite, qu’elle avait refusé les bonnes grâces du roi pour rester dans les miennes ? — Une prude qui vous disait chaque soir, en vous déshabillant, que c’était perdre votre âme que d’aimer un prêtre, comme si on était prêtre parce qu’on est cardinal ! — Qui a fait arrêter M. de Beaufort ? — Un brouillon qui ne parlait de rien moins que de m’assassiner ! — Vous voyez bien, cardinal, reprit la reine, que vos ennemis sont les miens. — Ce n’est point assez, madame, il faudrait encore que vos amis fussent les miens aussi. — Mes amis, monsieur ! (La reine secoua la tête.) Hélas ! je n’en ai plus. — Comment n’avez-vous plus d’amis dans le bonheur, quand vous en aviez dans l’adversité ? — Parce que, dans le bonheur, j’ai oublié ces amis-là, monsieur ; parce que j’ai fait comme la reine Marie de Médicis, qui, au retour de son premier exil, a méprisé tous ceux qui avaient souffert pour elle, et qui, proscrite une seconde fois, est morte à Cologne, abandonnée du monde entier et même de son fils, parce que tout le monde la méprisait à son tour. — Eh bien ! voyons, dit Mazarin, ne serait-il pas temps de réparer le mal ? cherchez parmi vos amis, vos plus anciens. — Que voulez-vous dire, monsieur ? — Rien autre chose que ce que je dis : cherchez. — Hélas ! j’ai beau regarder autour de moi, je n’ai d’influence sur personne. Monsieur, comme toujours, est conduit par son favori. Hier, c’était Choisy, aujourd’hui c’est Larivière, demain ce sera un autre. M. le Prince est conduit par Mme de Longueville, qui est elle-même conduite par le prince de Marsillac, son amant. M. de Conti est conduit par le coadjuteur, qui est conduit par Mme de Guéménée. — Aussi, madame, je ne vous dis pas de regarder parmi vos amis du jour, mais parmi vos amis d’autrefois. — Parmi mes amis d’autrefois ! fit la reine. — Oui, parmi vos amis d’autrefois, parmi ceux qui vous ont aidée à lutter contre M. le duc de Richelieu, à le vaincre même…

— Où veut-il en venir ? murmura la reine en regardant le cardinal avec inquiétude.

— Oui, continua celui-ci, en certaines circonstances, avec cet esprit puissant et fin qui caractérise Votre Majesté, vous avez su, grâce au concours de vos amis, repousser les attaques de cet adversaire. — Moi, dit la reine, j’ai souffert, voilà tout. — Oui, dit Mazarin, comme souffrent les femmes, en se vengeant. Voyons, allons au fait, connaissez-vous M. de Rochefort ? — M. de Rochefort n’était pas un de mes amis, dit la reine, mais bien au contraire de mes ennemis les plus acharnés, un des plus fidèles de M. le cardinal. Je croyais que vous saviez cela. — Je le sais si bien, répondit Mazarin, que nous l’avons fait mettre à la Bastille. — En est-il sorti ? demanda la reine. — Non, rassurez-vous, il y est toujours ; aussi je ne vous parle de lui que pour arriver à un autre. Connaissez-vous M. d’Artagnan ? continua Mazarin en regardant la reine en face.

Anne d’Autriche reçut le coup en plein cœur. — Le Gascon aurait-il été indiscret ? murmura-t-elle.

Puis, tout haut : — D’Artagnan ! ajouta-t-elle. Attendez donc. Oui, certainement, ce nom-là m’est familier. D’Artagnan, un mousquetaire, qui aimait une de mes femmes, pauvre petite créature qui est morte empoisonnée à cause de moi. — Voilà tout ? dit Mazarin.

La reine regarda le cardinal avec étonnement.

— Mais, monsieur, dit-elle, il me semble que vous me faites subir un interrogatoire. — Auquel, en tout cas, dit Mazarin avec son éternel sourire et sa voix toujours douce, vous ne répondez que selon votre fantaisie. — Exposez clairement vos désirs, monsieur, et j’y répondrai de même, dit la reine avec un commencement d’impatience. — Eh bien ! madame, dit Mazarin en s’inclinant, je désire que vous me fassiez part de vos amis, comme je vous ai fait part du peu d’industrie et de talent que le ciel a mis en moi. Les circonstances sont graves, et il va falloir agir énergiquement. — Encore ! dit la reine, je croyais que nous en serions quittes avec M. de Beaufort. — Oui, vous n’avez vu que le torrent qui voulait tout renverser, et vous n’avez pas fait attention à l’eau dormante. Il y a cependant en France un proverbe sur l’eau qui dort. — Achevez, dit la reine. — Eh bien ! continua Mazarin je souffre tous les jours les affronts que me font vos princes et vos valets titrés, tous automates qui ne voient pas que je tiens leur fil, et qui, sous ma gravité patiente, n’ont pas deviné le rire de l’homme irrité, qui s’est juré à lui-même d’être un jour le plus fort. Nous avons fait arrêter M. de Beaufort, c’est vrai, mais c’était le moins dangereux de tous ; il y a encore M. le Prince. — Le vainqueur de Rocroi ? y pensez-vous ! — Oui, madame, et fort souvent ; mais, patienza, comme nous disons, nous autres Italiens. Puis, après M. de Condé, il y a M. le duc d’Orléans. — Que dites-vous là ! le premier prince du sang, l’oncle du roi ! — Non pas le premier prince du sang, non pas l’oncle du roi, mais le lâche conspirateur qui, sous l’autre règne, poussé par son caractère capricieux et fantasque, rongé d’ennuis misérables, dévoré d’une plate ambition, jaloux de tout ce qui le dépassait en loyauté et en courage, irrité de n’être rien, grâce à sa nullité, s’est fait l’écho de tous les mauvais bruits, s’est fait l’âme de toutes les cabales, a fait signe d’aller en avant à tous ces braves gens qui ont eu la sottise de croire à la parole d’un homme du sang royal, et qui les a reniés lorsqu’ils sont montés sur l’échafaud ! non pas le premier prince du sang, non pas l’oncle du roi, je le répète, mais l’assassin de Chalais, de Montmorency et de Cinq-Mars, qui essaye aujourd’hui de jouer le même jeu et qui se figure qu’il gagnera la partie parce qu’il a changé d’adversaire et parce qu’au lieu d’avoir en face de lui un homme qui menace, il a un homme qui sourit. Mais il se trompe, il aura perdu à perdre M. de Richelieu, et je n’ai pas intérêt à laisser près de la reine ce ferment de discorde avec lequel feu M. le cardinal a fait bouillir vingt ans la bile du roi.

Anne rougit et cacha sa tête dans ses deux mains.

— Je ne veux point humilier Votre Majesté, reprit Mazarin, revenant à un ton plus calme, mais en même temps d’une fermeté étrange ; je veux qu’on respecte la reine et qu’on respecte son ministre, puisque aux yeux de tous je ne suis que cela. Votre Majesté sait, elle, que je ne suis pas, comme beaucoup de gens le disent, un pantin venu d’Italie ! Il faut que tout le monde le sache comme Votre Majesté. — Eh bien donc, que dois-je faire ? dit Anne d’Autriche, courbée sous cette voix dominatrice. — Vous devez chercher dans votre souvenir le nom de ces hommes fidèles et dévoués qui ont passé la mer malgré M. de Richelieu, en laissant des traces de leur sang tout le long de la route, pour rapporter à Votre Majesté certaine parure qu’elle avait donnée à M. de Buckingham.

Anne se leva majestueuse et irritée comme si un ressort d’acier l’eût fait bondir, et regardant le cardinal avec cette hauteur et cette dignité qui la rendaient si puissante aux jours de sa jeunesse :

— Vous m’insultez, monsieur ! dit-elle. — Je veux enfin, continua Mazarin, achevant la pensée qu’avait tranchée par le milieu le mouvement de la reine ; je veux que vous fassiez aujourd’hui pour votre mari ce que vous avez fait autrefois pour votre amant. — Encore cette calomnie ! s’écria la reine. Je la croyais cependant bien morte et bien étouffée, car vous me l’aviez épargnée jusqu’à présent ; mais voilà que vous m’en parlez à votre tour. Tant mieux ! car il en sera question cette fois entre nous, et tout sera fini, entendez-vous bien ? — Mais, madame, dit Mazarin étonné de ce retour de force, je ne demande pas que vous me disiez tout. — Et moi, je veux tout vous dire, répondit Anne d’Autriche. Écoutez donc. Je veux vous dire qu’il y avait effectivement à cette époque quatre cœurs dévoués, quatre âmes loyales, quatre épées fidèles, qui m’ont sauvé plus que la vie, monsieur, qui m’ont sauvé l’honneur. — Ah ! vous l’avouez, dit Mazarin. — N’y a-t-il donc que les coupables dont l’honneur soit en jeu, monsieur, et ne peut-on pas déshonorer quelqu’un, une femme surtout, avec des apparences ? Oui, les apparences étaient contre moi et j’allais être déshonorée, et cependant, je le jure, je n’étais pas coupable. Je le jure…

La reine chercha une chose sainte sur laquelle elle pût jurer, et tirant d’une armoire perdue dans la tapisserie un petit coffret de bois de rose incrusté d’argent, et le posant sur l’autel :

— Je le jure ! reprit-elle sur ces reliques sacrées, j’aimais M. de Buckingham, mais M. de Buckingham n’était pas mon amant.

— Et quelles sont ces reliques sur lesquelles vous faites ce serment, madame ? dit en souriant Mazarin ; car, je vous en préviens, en ma qualité de Romain, je suis incrédule : il y a relique et relique.

La reine détacha une petite clef d’or de son cou et la présenta au cardinal.

— Ouvrez, monsieur, dit-elle, et voyez vous-même.

Mazarin, étonné, prit la clef et ouvrit le coffret, dans lequel il ne trouva qu’un couteau rongé par la rouille et deux lettres dont l’une était tachée de sang.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Mazarin.

— Qu’est-ce que cela, monsieur ! dit Anne d’Autriche avec son geste de reine et en étendant sur le coffret ouvert un bras resté parfaitement beau malgré les années. Je vais vous le dire. Ces deux lettres sont les deux seules lettres que je lui aie jamais écrites. Ce couteau, c’est celui dont Felton l’a frappé. Lisez les lettres, monsieur, et vous verrez si j’ai menti.

Malgré la permission qui lui était donnée, Mazarin, par un sentiment naturel, au lieu de lire les lettres, prit le couteau que Buckingham mourant avait arraché de sa blessure, et qu’il avait, par Laporte, envoyé à la reine. La lame en était toute rongée, car le sang était devenu de la rouille ; puis après un instant d’examen, pendant lequel la reine était devenue aussi blanche que la nappe de l’autel sur lequel elle était appuyée, il le replaça dans le coffret avec un frisson involontaire.

— C’est bien, madame, dit-il, je m’en rapporte à votre serment.

— Non, non, lisez, dit la reine en fronçant le sourcil ; lisez, je le veux, je l’ordonne, afin, comme je l’ai résolu, que tout soit fini de cette fois, et que nous ne revenions plus sur ce sujet. Croyez-vous, ajouta-t-elle avec un sourire terrible, que je sois disposée à rouvrir ce coffret à chacune de vos accusations à venir ?…

Mazarin, dominé par cette énergie, obéit presque machinalement et lut les deux lettres. L’une était celle par laquelle la reine redemandait les ferrets à Buckingham : c’était celle qu’avait portée d’Artagnan et qui était arrivée à temps ; l’autre était celle que Laporte avait remise au duc, dans laquelle la reine le prévenait qu’il allait être assassiné, et qui était arrivée trop tard.

— C’est bien, madame, dit Mazarin, et il n’y a rien à répondre à cela. — Si, monsieur, dit la reine en refermant le coffret et en appuyant sa main dessus ; si, il y a quelque chose à répondre : c’est que j’ai toujours été ingrate envers ces hommes qui m’ont sauvée, moi, et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour le sauver, lui ; c’est que je n’ai rien donné à ce brave d’Artagnan dont vous me parliez tout à l’heure, que ma main à baiser et ce diamant.

La reine étendit sa belle main vers le cardinal et lui montra une pierre admirable qui scintillait à son doigt.

— Il l’a vendu, à ce qu’il paraît, reprit-elle, dans un moment de gêne ; il l’a vendu pour me sauver une seconde fois, car c’était pour envoyer un messager au duc et pour le prévenir qu’il devait être assassiné.

— D’Artagnan le savait donc ? — Il savait tout. Comment faisait-il ? je l’ignore. Mais enfin il l’a vendu à M. des Essarts, au doigt duquel je l’ai vu, et de qui je l’ai racheté ; mais ce diamant lui appartient, monsieur, rendez-le-lui donc de ma part, et, puisque vous avez le bonheur d’avoir près de vous un pareil homme, tâchez de l’utiliser. — Merci, madame, dit Mazarin ; je profiterai du conseil. — Et maintenant, dit la reine comme brisée par l’émotion, avez-vous autre chose à me demander ? — Rien, madame, répondit le cardinal de sa voix la plus caressante, que de vous supplier de me pardonner mes injustes soupçons ; mais je vous aime tant, qu’il n’est pas étonnant que je sois jaloux, même du passé.

Un sourire d’une indéfinissable expression passa sur les lèvres de la reine.

— Eh bien ! alors, monsieur, dit-elle, si vous n’avez rien autre chose à me demander, laissez-moi, vous devez comprendre qu’après une pareille scène j’ai besoin d’être seule.

Mazarin s’inclina.

— Je me retire, madame, dit-il ; me permettez-vous de revenir ?

— Oui, mais demain ; je n’aurai pas trop de tout ce temps pour me remettre.

Le cardinal prit la main de la reine et la lui baisa galamment, puis il se retira.

À peine fut-il sorti que la reine passa dans l’appartement de son fils et demanda à Laporte si le roi était couché. Laporte lui montra de la main l’enfant qui dormait.

Anne d’Autriche monta sur les marches du lit, approcha ses lèvres du front plissé de son fils et y déposa doucement un baiser, puis elle se retira silencieuse comme elle était venue, se contentant de dire au valet de chambre : — Tâchez donc, mon cher Laporte, que le roi fasse meilleure mine à M. le cardinal, auquel lui et moi avons de si grandes obligations.

I
Le fantôme de Richelieu
II
Une ronde de nuit
III
Deux anciens ennemis
IV
Anne d’Autriche à quarante-six ans
V
Gascon et Italien
VI
D’Artagnan à quarante ans
VII
D’Artagnan est embarrassé, mais une de nos anciennes connaissances lui vient en aide
VIII
Des influences différentes que peut avoir une demi-pistole sur un bedeau et sur un enfant de chœur
IX
Comment d’Artagnan, en cherchant bien loin Aramis, s’aperçut qu’il était en croupe derrière Planchet
X
L’abbé d’Herblay
XI
Les deux Gaspards
XII
M. Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds
XIII
Comment d’Artagnan s’aperçut, en retrouvant Porthos, que la fortune ne fait pas le bonheur
XIV
Où il est démontré que si Porthos était mécontent de son état, Mousqueton était fort satisfait du sien
XV
Deux têtes d’ange
XVI
Le château de Bragelonne
XVII
La diplomatie d’Athos
XVIII
M. de Beaufort
XIX
Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de Vincennes
XX
Grimaud entre en fonctions
XXI
Ce que contenaient les pâtés du successeur du père Marteau
XXII
Une aventure de Marie Michon
XXIII
L’abbé Scarron
XXIV
Saint-Denis
XXV
Un des quarante moyens d’évasion de monsieur de Beaufort
XXVI
D’Artagnan arrive à propos
XXVII
La grande route
XXVIII
Rencontre
XXIX
Le bonhomme Broussel
XXX
Quatre anciens amis s’apprêtent à se revoir
XXXI
La place Royale
XXXII
Le bac de l’Oise
XXXIII
Escarmouche
XXXIV
Le moine
XXXV
L’absolution
XXXVI
Grimaud parle
XXXVII
La veille de la bataille
XXXVIII
Un dîner d’autrefois
XXXIX
La lettre de Charles Ier
XL
La lettre de Cromwell
XLI
Mazarin et Madame Henriette
XLII
Comment les malheureux prennent parfois le hasard pour la providence
XLIII
L’oncle et le neveu
XLIV
Paternité
XLV
Encore une reine qui demande secours
XLVI
Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon
XLVII
Le Te Deum de la victoire de Lens
XLVIII
Le mendiant de Saint-Eustache
XLIX
La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie
L
L’émeute
LI
L’émeute fait révolte
LII
Le malheur donne de la mémoire
LIII
L’entrevue
LIV
La fuite
LV
Le carrosse de M. le Coadjuteur
LVI
Comment d’Artagnan et Porthos gagnèrent, l’un deux cent dix-neuf, et l’autre deux cent quinze louis, à vendre de la paille
LVII
On a des nouvelles d’Aramis
LVIII
L’écossais, parjure à sa foi, pour un denier vendit son roi
LIX
Le vengeur
LX
Olivier Cromwell
LXI
Les gentilshommes
LXII
Jésus Seigneur
LXIII
Où il est prouvé que dans les positions les plus difficiles les grands cœurs ne perdent jamais le courage, ni les bons estomacs l’appétit
LXIV
Salut à la Majesté tombée
LXV
D’Artagnan trouve un projet
LXVI
La partie de lansquenet
LXVII
Londres
LXVIII
Le procès
LXIX
White-Hall
LXX
Les ouvriers
LXXI
Remember
LXXII
L’homme masqué
LXXIII
La maison de Cromwell
LXXIV
Conversation
LXXV
La Felouque l’Éclair
LXXVI
Le vin de Porto
LXXVII
Fatality
LXXVIII
Où, après avoir manqué d’être rôti, Mousqueton manqua d’être mangé
LXXIX
Retour
LXXX
Les ambassadeurs
LXXXI
Les trois lieutenants du généralissime
LXXXII
Le combat de Charenton
LXXXIII
La route de Picardie
LXXXIV
La reconnaissance d’Anne d’Autriche
LXXXV
La royauté de M. de Mazarin
LXXXVI
Précautions
LXXXVII
L’esprit et le bras
LXXXVIII
Le bras et l’esprit
LXXXIX
Les oubliettes de M. de Mazarin
XC
Conférences
XCI
Où l’on commence à croire que Porthos sera enfin baron et d’Artagnan capitaine
XCII
Comme quoi avec une plume et une menace on fait plus vite et mieux qu’avec l’épée et du dévouement
XCIII
Où il est prouvé qu’il est quelquefois plus difficile aux rois de rentrer dans la capitale de leur royaume que d’en sortir
XCIV
Conclusion

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