XCIV
Conclusion


En rentrant chez eux, les deux amis trouvèrent une lettre d’Athos qui leur donnait rendez-vous au Grand-Charlemagne pour le lendemain matin.

Tous deux se couchèrent de bonne heure, mais ni l’un ni l’autre ne dormit. On n’arrive pas ainsi au but de tous ses désirs, sans que ce but atteint n’ait l’influence de chasser le sommeil, au moins pendant la première nuit. Le lendemain, à l’heure indiquée, tous deux se rendirent chez Athos. Ils trouvèrent le comte et Aramis en habits de voyage.

— Tiens ! dit Porthos, nous partons donc tous ? Moi aussi j’ai fait mes paquets ce matin.

— Oh ! mon Dieu, oui, dit Aramis, il n’y a plus rien à faire à Paris, du moment où il n’y a plus de Fronde. Mme de Longueville m’a invité à aller passer quelques jours en Normandie et m’a chargé, tandis qu’on baptisera son fils, d’aller lui faire préparer ses logements à Rouen. Je vais m’acquitter de cette mission, puis, s’il n’y a rien de nouveau, je retournerai m’ensevelir dans mon couvent de Noisy-le-Sec.

— Et moi, dit Athos, je retourne à Bragelonne. Vous le savez, mon cher d’Artagnan, je ne suis plus qu’un bon et brave campagnard. Raoul n’a d’autre fortune que ma fortune ; pauvre enfant ! et il faut que je veille sur elle, puisque je ne suis en quelque sorte qu’un prête-nom.

— Et Raoul, qu’en faites-vous ?

— Je vous le laisse, ami. On va faire la guerre en Flandre, vous l’emmènerez : j’ai peur que le séjour de Blois ne soit dangereux à sa jeune tête. Emmenez-le et apprenez-lui à être brave et loyal comme vous.

— Et moi, dit d’Artagnan, je ne vous aurai plus, Athos ; mais au moins je l’aurai, cette chère tête blonde ; et, quoique ce ne soit qu’un enfant, comme votre âme tout entière revit en lui, cher Athos, je croirai toujours que vous êtes là près de moi, m’accompagnant et me soutenant.

Les quatre amis s’embrassèrent les larmes aux yeux.

Puis ils se séparèrent sans savoir s’ils se reverraient jamais.

D’Artagnan revint rue Tiquetonne avec Porthos, toujours préoccupé et toujours cherchant quel était cet homme qu’il avait tué. En arrivant devant l’hôtel de la Chevrette, on trouva les équipages du baron prêts et Mousqueton en selle.

— Venez d’Artagnan, dit Porthos, quittez l’épée et venez avec moi à Pierrefonds, à Bracieux ou au Vallon ; nous vieillirons ensemble en parlant de nos compagnons.

— Non pas, dit d’Artagnan. Peste ! on va ouvrir la campagne, et je veux en être ; j’espère bien y gagner quelque chose !

— Et qu’espérez-vous donc devenir ?

— Maréchal de France, pardieu !

— Ah ! ah ! fit Porthos en regardant d’Artagnan, aux gasconnades duquel il n’avait jamais pu se faire entièrement.

— Venez avec moi, Porthos, dit d’Artagnan : je vous ferai duc.

— Non, dit Porthos, Mouston ne veut plus faire la guerre. D’ailleurs on m’a ménagé une entrée solennelle chez moi, qui fera crever de dépit tous mes voisins.

— À ceci je n’ai rien à répondre, dit d’Artagnan, qui connaissait la vanité du nouveau baron. Au revoir donc, mon ami.

— Au revoir, cher capitaine, dit Porthos. Vous savez que lorsque vous me voudrez venir voir, vous serez toujours le bienvenu dans ma baronnie.

— Oui, dit d’Artagnan, au retour de la campagne, j’irai.

— Les équipages de M. le baron attendent, dit Mousqueton.

Et les deux amis se séparèrent après s’être serré la main. D’Artagnan resta sur la porte, suivant d’un œil mélancolique Porthos qui s’éloignait… Mais au bout de vingt pas, Porthos s’arrêta tout court, se frappa le front et revint.

— Je me rappelle, dit-il.

— Quoi ? demanda d’Artagnan.

— Quel est ce mendiant que j’ai tué.

— Ah vraiment ! qui est-ce ?

— C’est cette canaille de Bonacieux.

Et Porthos, enchanté d’avoir l’esprit libre, rejoignit Mouston, avec lequel il disparut au coin de la rue.

D’Artagnan demeura un instant immobile et pensif ; puis, en se retournant il aperçut la belle Madeleine, qui, inquiète des nouvelles grandeurs de d’Artagnan, se tenait debout sur le seuil de la porte.

— Madeleine, dit le Gascon, donnez-moi l’appartement du premier ; je suis obligé de représenter, maintenant que je suis capitaine des mousquetaires. Mais gardez-moi toujours ma chambre du cinquième : on ne sait pas ce qui peut arriver.

FIN

I
Le fantôme de Richelieu
II
Une ronde de nuit
III
Deux anciens ennemis
IV
Anne d’Autriche à quarante-six ans
V
Gascon et Italien
VI
D’Artagnan à quarante ans
VII
D’Artagnan est embarrassé, mais une de nos anciennes connaissances lui vient en aide
VIII
Des influences différentes que peut avoir une demi-pistole sur un bedeau et sur un enfant de chœur
IX
Comment d’Artagnan, en cherchant bien loin Aramis, s’aperçut qu’il était en croupe derrière Planchet
X
L’abbé d’Herblay
XI
Les deux Gaspards
XII
M. Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds
XIII
Comment d’Artagnan s’aperçut, en retrouvant Porthos, que la fortune ne fait pas le bonheur
XIV
Où il est démontré que si Porthos était mécontent de son état, Mousqueton était fort satisfait du sien
XV
Deux têtes d’ange
XVI
Le château de Bragelonne
XVII
La diplomatie d’Athos
XVIII
M. de Beaufort
XIX
Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de Vincennes
XX
Grimaud entre en fonctions
XXI
Ce que contenaient les pâtés du successeur du père Marteau
XXII
Une aventure de Marie Michon
XXIII
L’abbé Scarron
XXIV
Saint-Denis
XXV
Un des quarante moyens d’évasion de monsieur de Beaufort
XXVI
D’Artagnan arrive à propos
XXVII
La grande route
XXVIII
Rencontre
XXIX
Le bonhomme Broussel
XXX
Quatre anciens amis s’apprêtent à se revoir
XXXI
La place Royale
XXXII
Le bac de l’Oise
XXXIII
Escarmouche
XXXIV
Le moine
XXXV
L’absolution
XXXVI
Grimaud parle
XXXVII
La veille de la bataille
XXXVIII
Un dîner d’autrefois
XXXIX
La lettre de Charles Ier
XL
La lettre de Cromwell
XLI
Mazarin et Madame Henriette
XLII
Comment les malheureux prennent parfois le hasard pour la providence
XLIII
L’oncle et le neveu
XLIV
Paternité
XLV
Encore une reine qui demande secours
XLVI
Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon
XLVII
Le Te Deum de la victoire de Lens
XLVIII
Le mendiant de Saint-Eustache
XLIX
La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie
L
L’émeute
LI
L’émeute fait révolte
LII
Le malheur donne de la mémoire
LIII
L’entrevue
LIV
La fuite
LV
Le carrosse de M. le Coadjuteur
LVI
Comment d’Artagnan et Porthos gagnèrent, l’un deux cent dix-neuf, et l’autre deux cent quinze louis, à vendre de la paille
LVII
On a des nouvelles d’Aramis
LVIII
L’écossais, parjure à sa foi, pour un denier vendit son roi
LIX
Le vengeur
LX
Olivier Cromwell
LXI
Les gentilshommes
LXII
Jésus Seigneur
LXIII
Où il est prouvé que dans les positions les plus difficiles les grands cœurs ne perdent jamais le courage, ni les bons estomacs l’appétit
LXIV
Salut à la Majesté tombée
LXV
D’Artagnan trouve un projet
LXVI
La partie de lansquenet
LXVII
Londres
LXVIII
Le procès
LXIX
White-Hall
LXX
Les ouvriers
LXXI
Remember
LXXII
L’homme masqué
LXXIII
La maison de Cromwell
LXXIV
Conversation
LXXV
La Felouque l’Éclair
LXXVI
Le vin de Porto
LXXVII
Fatality
LXXVIII
Où, après avoir manqué d’être rôti, Mousqueton manqua d’être mangé
LXXIX
Retour
LXXX
Les ambassadeurs
LXXXI
Les trois lieutenants du généralissime
LXXXII
Le combat de Charenton
LXXXIII
La route de Picardie
LXXXIV
La reconnaissance d’Anne d’Autriche
LXXXV
La royauté de M. de Mazarin
LXXXVI
Précautions
LXXXVII
L’esprit et le bras
LXXXVIII
Le bras et l’esprit
LXXXIX
Les oubliettes de M. de Mazarin
XC
Conférences
XCI
Où l’on commence à croire que Porthos sera enfin baron et d’Artagnan capitaine
XCII
Comme quoi avec une plume et une menace on fait plus vite et mieux qu’avec l’épée et du dévouement
XCIII
Où il est prouvé qu’il est quelquefois plus difficile aux rois de rentrer dans la capitale de leur royaume que d’en sortir
XCIV
Conclusion

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