ACTE V - SCÈNE IV



(LES MÊMES, LE GEOLIER)

Le Geôlier (accourant)
Tout est perdu, Père Ubu !

Père Ubu
Encore, sagouin ! Je ne suis pourtant plus roi.

Le Geôlier
Les Maîtres sont révoltés ! les hommes libres sont esclaves, j'ai été mis à la porte et la Mère Ubu arrachée de sa prison. Et pour preuve de la véracité de ces nouvelles, voici le boulet de la Mère Ubu (On apporte le boulet sur une brouette)
qu'on l'a jugée indigne de porter et qui d'ailleurs a de lui-même rompu sa chaîne, se refusant à plus longtemps la suivre !

Père Ubu (met le boulet dans sa poche)
Au diable les montres sans cordon ! Un peu plus, je manquais ma poche !

Le Geôlier
Les Maîtres ont abrité leurs femmes et leurs petits enfants dans les prisons. Ils ont envahi les arsenaux et c'est tout juste s'ils y ont trouvé assez de boulets pour river à leurs jambes en signe d'esclavage. De plus, ils prétendent occuper avant vous les galères de Soliman.

L'Argousin
Je me révolte aussi ! — Vive la servitude ! — Nous en avons assez ! Nous voulons être esclaves à notre tour, foutre !

Père Ubu (à un Argousin)
Eh ! voici notre boulet, de grand cœur. Nous vous le redemanderons quand nous serons moins fatigué.
(Il donne ses boulets à porter à deux Argousins, à sa droite et à sa gauche. Les Forçats, sur leurs supplications, chargent de leurs chaînes les Argousins. Tumulte lointain.)

Argousins et Forçats
Les Maîtres révoltés !

Père Ubu
Allons, Messieurs ! Saisissons notre courage par les deux anses. Je vois que vous êtes armés et prêts à recevoir vaillamment l'ennemi. Quant à nous, le pied dispos, nous allons tranquillement partir sans attendre ces gens animés sans doute d'intentions mauvaises, et, pour notre salut, si j'en crois ce bruit de ferraille, lourdement chargés !

Le Geôlier
C'est le bruit des canons ! Ils ont de l'artillerie, Père Ubu.

Père Ubu
Ah ! je meurs de peur. Ma prison ! mes pantoufles ! (Les canons entourent la scène.)


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