ACTE V - Scène V
(MARTIAN, PLAUTINE, ATTICUS, Soldats.)
Plautine
Allez-y renfermer des pleurs qui vous échappent :
Les désastres d'Othon ainsi que moi vous frappent ;
Et si l'on avoit cru vos souhaits les plus doux,
Ce grand jour le verroit couronner avec vous.
Voilà, voilà le fruit de m'avoir trop aimée ;
Voilà quel est l'effet…
Martian
Si votre âme enflammée…
Plautine
Vil esclave, est-ce à toi de troubler ma douleur ?
Est-ce à toi de vouloir adoucir mon malheur,
À toi, de qui l'amour m'ose en offrir un pire ?
Martian
Il est juste d'abord qu'un si grand cœur soupire ;
Mais il est juste aussi de ne pas trop pleurer
Une perte facile et prête à réparer.
Il est temps qu'un sujet à son prince fidèle
Remplisse heureusement la place d'un rebelle :
Un monarque le veut ; un père en est d'accord.
Vous devez pour tous deux vous faire un peu d'effort,
Et bannir de ce cœur la honteuse mémoire
D'un amour criminel qui souille votre gloire.
Plautine
Lâche ! tu ne vaux pas que pour te démentir
Je daigne m'abaisser jusqu'à te repartir.
Tais-toi, laisse en repos une âme possédée
D'une plus agréable encor que triste idée :
N'interromps plus mes pleurs.
Martian
Tournez vers moi les yeux :
Après la mort d'Othon, que pouvez-vous de mieux ?
Plautine ( cependant que deux soldats entrent et parlent à Atticus à l'oreille.)
Quelque insolent espoir qu'ait ta folle arrogance,
Apprends que j'en saurai punir l'extravagance,
Et percer de ma main ou ton cœur ou le mien,
Plutôt que de souffrir cet infâme lien.
Connois-toi, si tu peux, ou connois-moi.
Atticus
De grâce,
Souffrez…
Plautine
De me parler tu prends aussi l'audace,
Assassin d'un héros que je verrois sans toi
Donner des lois au monde, et les prendre de moi ?
Toi, dont la main sanglante au désespoir me livre ?
Atticus
Si vous aimez Othon, Madame, il va revivre ;
Et vous verrez longtemps sa vie en sûreté,
S'il ne meurt que des coups dont je me suis vanté.
Plautine
Othon vivroit encore ?
Atticus
Il triomphe, Madame ;
Et maître de l'État, comme vous de son âme,
Vous l'allez bientôt voir lui-même à vos genoux
Vous faire offre d'un sort qu'il n'aime que pour vous,
Et dont sa passion dédaigneroit la gloire,
Si vous ne vous faisiez le prix de sa victoire.
L'armée à son mérite enfin a fait raison ;
On porte devant lui la tête de Pison ;
Et Camille tient mal ce qu'elle vient de dire,
Ou rend grâces pour vous aux Dieux d'un autre empire,
Et fatigue le ciel par des vœux superflus
En faveur d'un parti qu'il ne regarde plus.
Martian
Exécrable ! Ainsi donc ta promesse frivole…
Atticus
Qui promet de trahir peut manquer de parole.
Si je n'eusse promis ce lâche assassinat,
Un autre par ton ordre eût commis l'attentat ;
Et tout ce que j'ai dit n'était qu'un stratagème
Pour livrer en ses mains Lacus et Galba même.
Galba n'a rien à craindre : on respecte son nom,
Et ce n'est que sous lui que veut régner Othon.
Quant à Lacus et toi, je vois peu d'apparence
Que vos jours à tous deux soient en même assurance,
Si ce n'est que Madame ait assez de bonté
Pour fléchir un vainqueur justement irrité.
Autour de ce palais nous avions deux cohortes,
Qui déjà pour Othon en ont saisi les portes ;
J'y commande, Madame ; et mon ordre aujourd'hui
Est de vous obéir, et m'assurer de lui.
Qu'on l'emmène, soldats ! il blesse ici la vue.
Martian
Fut-il jamais disgrâce, ô Dieux ! plus imprévue ?
Plautine (seule.)
Je me trouble, et ne sais par quel pressentiment
Mon cœur n'ose goûter ce bonheur pleinement :
Il semble avec chagrin se livrer à la joie ;
Et bien qu'en ses douceurs mon déplaisir se noie,
Je ne passe de l'une à l'autre extrémité
Qu'avec un reste obscur d'esprit inquiété.
Je sens… Mais que me veut Flavie épouvantée ?