ACTE II - Scène V



(CAMILLE, LACUS, MARTIAN, ALBANE.)

Camille
Je vous rencontre ensemble ici fort à propos,
Et voulois à tous deux vous dire quatre mots.
Si j'en crois certain bruit que je ne puis vous taire,
Vous poussez un peu loin l'orgueil du ministère :
On dit que sur mon rang vous étendez sa loi,
Et que vous vous mêlez de disposer de moi.

Martian
Nous, madame ?

Camille
Faut-il que je vous obéisse,
Moi, dont Galba prétend faire une impératrice ?

Lacus
L'un et l'autre sait trop quel respect vous est dû.

Camille
Le crime en est plus grand, si vous l'avez perdu.
Parlez, qu'avez-vous dit à Galba l'un et l'autre ?

Martian
Sa pensée a voulu s'assurer sur la nôtre ;
Et s'étant proposé le choix d'un successeur,
Pour laisser à l'empire un digne possesseur,
Sur ce don imprévu qu'il fait du diadème,
Vinius a parlé, Lacus a fait de même.

Camille
Et ne savez-vous point, et Vinius, et vous,
Que ce grand successeur doit être mon époux ?
Que le don de ma main suit ce don de l'empire ?
Galba par vos conseils, voudroit-il s'en dédire ?

Lacus
Il est toujours le même, et nous avons parlé
Suivant ce qu'à tous deux le ciel a révélé :
En ces occasions, lui qui tient les couronnes
Inspire les avis sur le choix des personnes.
Nous avons cru d'ailleurs pouvoir sans attentat
Faire vos intérêts de ceux de tout l'État :
Vous ne voudriez pas en avoir de contraires.

Camille
Vous n'avez, vous ni lui, pensé qu'à vos affaires ;
Et nous offrir Pison, c'est assez témoigner…

Lacus
Le trouvez-vous, madame, indigne de régner ?
Il a de la vertu, de l'esprit, du courage ;
Il a de plus…

Camille
De plus, il a votre suffrage,
Et c'est assez de quoi mériter mes refus.
Par respect de son sang, je ne dis rien de plus.

Martian
Aimeriez-vous Othon, que Vinius propose,
Othon dont vous savez que Plautine dispose,
Et qui n'aspire ici qu'à lui donner sa foi ?

Camille
Qu'il brûle encor pour elle, ou la quitte pour moi,
Ce n'est pas votre affaire ; et votre exactitude
Se charge en ma faveur de trop d'inquiétude.

Lacus
Mais l'empereur consent qu'il l'épouse aujourd'hui ;
Et moi-même je viens de l'obtenir pour lui.

Camille
Vous en a-t-il prié ? dites, ou si l'envie…

Lacus
Un véritable ami n'attend point qu'on le prie.

Camille
Cette amitié me charme, et je dois avouer
Qu'Othon a jusqu'ici tout lieu de s'en louer,
Que l'heureux contre-temps d'un si rare service…

Lacus
Madame…

Camille
Croyez-moi, mettez bas l'artifice.
Ne vous hasardez point à faire un empereur.
Galba connoît l'empire, et je connois mon cœur :
Je sais ce qui m'est propre ; il voit ce qu'il doit faire,
Et quel prince à l'État est le plus salutaire.
Si le ciel vous inspire, il aura soin de nous,
Et saura sur ce point nous accorder sans vous.

Lacus
Si Pison vous déplaît, il en est quelques autres…

Camille
N'attachez point ici mes intérêts aux vôtres.
Vous avez de l'esprit, mais j'ai des yeux perçants :
Je vois qu'il vous est doux d'être les tout-puissants ;
Et je n'empêche point qu'on ne vous continue
Votre toute-puissance au point qu'elle est venue ;
Mais quant à cet époux, vous me ferez plaisir
De trouver bon qu'enfin je puisse le choisir.
Je m'aime un peu moi-même, et n'ai pas grande envie
De vous sacrifier le repos de ma vie.

Martian
Puisqu'il doit avec vous régir tout l'univers…

Camille
Faut-il vous dire encor que j'ai des yeux ouverts ?
Je vois jusqu'en vos cœurs, et m'obstine à me taire ;
Mais je pourrais enfin dévoiler le mystère.

Martian
Si l'empereur nous croit…

Camille
Sans doute il vous croira ;
Sans doute je prendrai l'époux qu'il m'offrira :
Soit qu'il plaise à mes yeux, soit qu'il me choque en l'âme,
Il sera votre maître, et je serai sa femme ;
Le temps me donnera sur lui quelque pouvoir,
Et vous pourrez alors vous en apercevoir.
Voilà les quatre mots que j'avais à vous dire :
Pensez-y.

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