ACTE II - Scène première



(PLAUTINE, FLAVIE.)

Plautine
Dis-moi donc, lorsque Othon s'est offert à Camille,
A-t-il paru contraint ? a-t-elle été facile ?
Son hommage auprès d'elle a-t-il eu plein effet ?
Comment l'a-t-elle pris, et comment l'a-t-il fait ?

Flavie
J'ai tout vu ; mais enfin votre humeur curieuse
À vous faire un supplice est trop ingénieuse.
Quelque reste d'amour qui vous parle d'Othon,
Madame, oubliez-en, s'il se peut, jusqu'au nom.
Vous vous êtes vaincue en faveur de sa gloire,
Goûtez un plein triomphe après votre victoire :
Le dangereux récit que vous me commandez
Est un nouveau combat où vous vous hasardez.
Votre âme n'en est pas encor si détachée
Qu'il puisse aimer ailleurs sans qu'elle en soit touchée.
Prenez moins d'intérêt à l'y voir réussir,
Et fuyez le chagrin de vous en éclaircir.

Plautine
Je le force moi-même à se montrer volage ;
Et regardant son change ainsi que mon ouvrage,
J'y prends un intérêt qui n'a rien de jaloux :
Qu'on l'accepte, qu'il règne, et tout m'en sera doux.

Flavie
J'en doute ; et rarement une flamme si forte
Souffre qu'à notre gré ses ardeurs…

Plautine
Que t'importe ?
Laisse-m'en le hasard ; et sans dissimuler,
Dis de quelle manière il a su lui parler.

Flavie
N'imputez donc qu'à vous si votre âme inquiète
En ressent malgré moi quelque gêne secrète.
Othon à la princesse a fait un compliment,
Plus en homme de cour qu'en véritable amant.
Son éloquence accorte, enchaînant avec grâce
L'excuse du silence à celle de l'audace,
En termes trop choisis accusoit le respect
D'avoir tant retardé cet hommage suspect.
Ses gestes concertés, ses regards de mesure
N'y laissoient aucun mot aller à l'aventure :
On ne voyoit que pompe en tout ce qu'il peignoit ;
Jusque dans ses soupirs la justesse régnoit,
Et suivoit pas à pas un effort de mémoire
Qu'il étoit plus aisé d'admirer que de croire.
Camille sembloit même assez de cet avis ;
Elle auroit mieux goûté des discours moins suivis :
Je l'ai vu dans ses yeux ; mais cette défiance
Avoit avec son cœur trop peu d'intelligence.
De ses justes soupçons ses souhaits indignés
Les ont tout aussitôt détruits ou dédaignés :
Elle a voulu tout croire ; et quelque retenue
Qu'ait su garder l'amour dont elle est prévenue,
On a vu, par ce peu qu'il laissait échapper,
Qu'elle prenoit plaisir à se laisser tromper ;
Et que si quelquefois l'horreur de la contrainte
Forçoit le triste Othon à soupirer sans feinte,
Soudain l'avidité de régner sur son cœur
Imputoit à l'amour ces soupirs de douleur.

Plautine
Et sa réponse enfin ?

Flavie
Elle a paru civile ;
Mais la civilité n'est qu'amour en Camille,
Comme en Othon l'amour n'est que civilité.

Plautine
Et n'a-t-elle rien dit de sa légèreté,
Rien de la foi qu'il semble avoir si mal gardée ?

Flavie
Elle a su rejeter cette fâcheuse idée,
Et n'a pas témoigné qu'elle sût seulement
Qu'on l'eût vu pour vos yeux soupirer un moment.

Plautine
Mais qu'a-t-elle promis ?

Flavie
Que son devoir fidèle
Suivroit ce que Galba voudroit ordonner d'elle ;
Et de peur d'en trop dire et d'ouvrir trop son cœur,
Elle l'a renvoyé soudain vers l'empereur.
Il lui parle à présent. Qu'en dites-vous, Madame,
Et de cet entretien que souhaite votre âme ?
Voulez-vous qu'on l'accepte ou qu'il n'obtienne rien ?

Plautine
Moi-même, à dire vrai, je ne le sais pas bien.
Comme des deux côtés le coup me sera rude,
J'aimerois à jouir de cette inquiétude,
Et tiendrois à bonheur le reste de mes jours
De n'en sortir jamais, et de douter toujours.

Flavie
Mais il faut se résoudre, et vouloir quelque chose.

Plautine
Souffre sans m'alarmer que le ciel en dispose :
Quand son ordre une fois en aura résolu,
Il nous faudra vouloir ce qu'il aura voulu.
Ma raison cependant cède Othon à l'empire :
Il est de mon honneur de ne m'en pas dédire ;
Et soit ce grand souhait volontaire ou forcé,
Il est beau d'achever comme on a commencé.
Mais je vois Martian.

Autres textes de Pierre Corneille

Tite et Bérénice

"Tite et Bérénice" est une tragédie en cinq actes écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1670. Cette pièce est inspirée de l'histoire réelle de l'empereur romain...

Théodore

"Théodore" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1645. Cette œuvre est notable dans le répertoire de Corneille pour son sujet religieux et son...

Suréna

"Suréna" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1674. C'est la dernière pièce écrite par Corneille, et elle est souvent considérée comme une de...

Sophonisbe

"Sophonisbe" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1663. Cette pièce s'inspire de l'histoire de Sophonisbe, une figure historique de l'Antiquité, connue pour son...

Sertorius

"Sertorius" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1662. Cette pièce se distingue dans l'œuvre de Corneille par son sujet historique et politique, tiré...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024