ACTE IV - Scène III
(VINIUS, PLAUTINE.)
Vinius
Ce n'est pas tout, ma fille, un bonheur plus certain,
Quoi qu'il puisse arriver, met l'empire en ta main.
Plautine
Flatteriez-vous Othon d'une vaine chimère ?
Vinius
Non : tout ce que j'ai dit n'est qu'un rapport sincère.
Je crois te voir régner avec ce cher Othon ;
Mais n'espère pas moins du côté de Pison :
Galba te donne à lui. Piqué contre Camille,
Dont l'amour a rendu son projet inutile,
Il veut que cet hymen, punissant ses refus,
Réunisse avec moi Martian et Lacus,
Et trompe heureusement les présages sinistres
De la division qu'il voit en ses ministres.
Ainsi des deux côtés on combattra pour toi.
Le plus heureux des chefs t'apportera sa foi.
Sans part à ses périls, tu l'auras à sa gloire,
Et verras à tes pieds l'une ou l'autre victoire.
Plautine
Quoi ? mon cœur, par vous-même à ce héros donné,
Pourrait ne l'aimer plus s'il n'est point couronné ?
Et s'il faut qu'à Pison son mauvais sort nous livre,
Pour ce même Pison je pourrois vouloir vivre ?
Vinius
Si nos communs souhaits ont un contraire effet,
Tu te peux faire encor l'effort que tu t'es fait ;
Et qui vient de donner Othon au diadème,
Pour régner à son tour peut se donner soi-même.
Plautine
Si pour le couronner j'ai fait un noble effort,
Dois-je en faire un honteux pour jouir de sa mort ?
Je me privois de lui sans me vendre à personne,
Et vous voulez, Seigneur, que son trépas me donne,
Que mon cœur, entraîné par la splendeur du rang,
Vole après une main fumante de son sang ;
Et que de ses malheurs triomphante et ravie,
Je sois l'infâme prix d'avoir tranché sa vie !
Non, Seigneur : nous aurons même sort aujourd'hui ;
Vous me verrez régner ou périr avec lui :
Ce n'est qu'à l'un des deux que tout ce cœur aspire.
Vinius
Que tu vois mal encor ce que c'est que l'empire !
Si deux jours seulement tu pouvois l'essayer,
Tu ne croirois jamais le pouvoir trop payer ;
Et tu verrois périr mille amants avec joie,
S'il falloit tout leur sang pour t'y faire une voie.
Aime Othon, si tu peux t'en faire un sûr appui ;
Mais s'il en est besoin, aime-toi plus que lui,
Et sans t'inquiéter où fondra la tempête,
Laisse aux Dieux à leur choix écraser une tête :
Prends le sceptre aux dépens de qui succombera,
Et règne sans scrupule avec qui régnera.
Plautine
Que votre politique a d'étranges maximes !
Mon amour, s'il l'osoit, y trouveroit des crimes.
Je sais aimer, Seigneur, je sais garder ma foi,
Je sais pour un amant faire ce que je doi,
Je sais à son bonheur m'offrir en sacrifice,
Et je saurai mourir si je vois qu'il périsse ;
Mais je ne sais point l'art de forcer ma douleur
À pouvoir recueillir les fruits de son malheur.
Vinius
Tiens pourtant l'âme prête à le mettre en usage ;
Change de sentiments, ou du moins de langage ;
Et pour mettre d'accord ta fortune et ton cœur,
Souhaite pour l'amant, et te garde au vainqueur.
Adieu : je vois entrer la princesse Camille.
Quelque trouble où tu sois, montre une âme tranquille,
Profite de sa faute, et tiens l'œil mieux ouvert
Au vif et doux éclat du trône qu'elle perd.