ACTE IV - Scène première



(OTHON, PLAUTINE.)

Plautine
Que voulez-vous, seigneur, qu'enfin je vous conseille ?
Je sens un trouble égal d'une douleur pareille ;
Et mon cœur tout à vous n'est pas assez à soi
Pour trouver un remède aux maux que je prévoi :
Je ne sais que pleurer, je ne sais que vous plaindre.
Le seul choix de Pison nous donne tout à craindre :
Mon père vous a dit qu'il ne laisse à tous trois
Que l'espoir de mourir ensemble à notre choix ;
Et nous craignons de plus une amante irritée
D'une offre en moins d'un jour reçue et rétractée,
D'un hommage où la suite a si peu répondu,
Et d'un trône qu'en vain pour vous elle a perdu.
Pour vous avec ce trône elle était adorable,
Pour vous elle y renonce, et n'a plus rien d'aimable.
Où ne portera point un si juste courroux
La honte de se voir sans l'empire et sans vous ?
Honte d'autant plus grande et d'autant plus sensible,
Qu'elle s'y promettoit un retour infaillible,
Et que sa main par vous croyoit tôt regagner
Ce que son cœur pour vous paroissoit dédaigner.

Othon
Je n'ai donc qu'à mourir. Je l'ai voulu, Madame,
Quand je l'ai pu sans crime, en faveur de ma flamme ;
Et je le dois vouloir, quand votre arrêt cruel
Pour mourir justement m'a rendu criminel.
Vous m'avez commandé de m'offrir à Camille ;
Grâces à nos malheurs ce crime est inutile.
Je mourrai tout à vous ; et si pour obéir
J'ai paru mal aimer, j'ai semblé vous trahir,
Ma main, par ce même ordre à vos yeux enhardie,
Lavera dans mon sang ma fausse perfidie.
N'enviez pas, Madame, à mon sort inhumain
La gloire de finir du moins en vrai Romain,
Après qu'il vous a plu de me rendre incapable
Des douceurs de mourir en amant véritable.

Plautine
Bien loin d'en condamner la noble passion,
J'y veux borner ma joie et mon ambition.
Pour de moindres malheurs on renonce à la vie.
Soyez sûr de ma part de l'exemple d'Arrie :
J'ai la main aussi ferme et le cœur aussi grand,
Et quand il le faudra, je sais comme on s'y prend.
Si vous daigniez, seigneur, jusque-là vous contraindre,
Peut-être espérerois-je en voyant tout à craindre.
Camille est irritée et se peut apaiser.

Othon
Me condamneriez-vous, madame, à l'épouser ?

Plautine
Que n'y puis-je moi-même opposer ma défense !
Mais si vos jours enfin n'ont point d'autre assurance,
S'il n'est point d'autre asile…

Othon
Ah ! courons à la mort ;
Ou si pour l'éviter il faut nous faire effort,
Subissons de Lacus toute la tyrannie,
Avant que me soumettre à cette ignominie.
J'en saurai préférer les plus barbares coups
À l'affront de me voir sans l'empire et sans vous,
Aux hontes d'un hymen qui me rendrait infâme,
Puisqu'on fait pour Camille un crime de sa flamme,
Et qu'on lui vole un trône en haine d'une foi
Qu'a voulu son amour ne promettre qu'à moi.
Non que pour moi sans vous ce trône eût aucuns charmes :
Pour vous je le cherchois, mais non pas sans alarmes ;
Et si tantôt Galba ne m'eût point dédaigné,
J'aurois porté le sceptre, et vous auriez régné ;
Vos seules volontés, mes dignes souveraines,
D'un empire si vaste auroient tenu les rênes.
Vos lois…

Plautine
C'est donc à moi de vous faire empereur.
Je l'ai pu : les moyens d'abord m'ont fait horreur ;
Mais je saurai la vaincre, et me donnant moi-même,
Vous assurer ensemble et vie et diadème,
Et réparer par là le crime d'un orgueil
Qui vous dérobe un trône, et vous ouvre un cercueil.
De Martian pour vous j'aurois eu le suffrage,
Si j'avois pu souffrir son insolent hommage.
Son amour…

Othon
Martian se connoîtroit si peu
Que d'oser…

Plautine
Il n'a pas encore éteint son feu ;
Et du choix de Pison quelles que soient les causes,
Je n'ai qu'à dire un mot pour brouiller bien des choses.

Othon
Vous vous ravaleriez jusques à l'écouter ?

Plautine
Pour vous j'irai, Seigneur, jusques à l'accepter.

Othon
Consultez votre gloire, elle saura vous dire…

Plautine
Qu'il est de mon devoir de vous rendre l'empire.

Othon
Qu'un front encor marqué des fers qu'il a portés…

Plautine
A droit de me charmer, s'il fait vos sûretés.

Othon
En concevez-vous bien toute l'ignominie ?

Plautine
Je n'en puis voir, Seigneur, à vous sauver la vie.

Othon
L'épouser à ma vue ! et pour comble d'ennui…

Plautine
Donnez-vous à Camille, ou je me donne à lui.

Othon
Périssons, périssons, Madame, l'un pour l'autre,
Avec toute ma gloire, avec toute la vôtre.
Pour nous faire un trépas dont les dieux soient jaloux,
Rendez-vous toute à moi, comme moi tout à vous ;
Ou si pour conserver en vous tout ce que j'aime,
Mon malheur vous obstine à vous donner vous-même,
Du moins de votre gloire ayez un soin égal,
Et ne me préférez qu'un illustre rival.
J'en mourrai de douleur, mais je mourrois de rage,
Si vous me préfériez un reste d'esclavage.

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