ACTE V - Scène II



(GALBA, CAMILLE, VINIUS, LACUS, ALBIANE.)

Galba
Je vois d'ailleurs Lacus. Eh bien ! quelles nouvelles ?
Qu'apprenez-vous tous deux du camp de nos rebelles ?

Vinius
Que ceux de la marine et les Illyriens
Se sont avec chaleur joints aux prétoriens,
Et que des bords du Nil les troupes rappelées
Seules par leurs fureurs ne sont point ébranlées.

Lacus
Tous ces mutins ne sont que de simples soldats ;
Aucun des chefs ne trempe en leurs vains attentats :
Ainsi ne craignez rien d'une masse d'armée
Où déjà la discorde est peut-être allumée.
Sitôt qu'on y saura que le peuple à grands cris
Veut que de ces complots les auteurs soient proscrits,
Que du perfide Othon il demande la tête,
La consternation calmera la tempête ;
Et vous n'avez, Seigneur, qu'à vous y faire voir
Pour rendre d'un coup d'œil chacun à son devoir.

Galba
Irons-nous, Vinius, hâter par ma présence
L'effet d'une si douce et si juste espérance ?

Vinius
Ne hasardez, Seigneur, que dans l'extrémité,
Le redoutable effet de votre autorité.
Alors qu'il réussit, tout fait jour, tout lui cède ;
Mais aussi quand il manque, il n'est plus de remède.
Il faut, pour déployer le souverain pouvoir,
Sûreté toute entière, ou profond désespoir ;
Et nous ne sommes pas, Seigneur, à ne rien feindre,
En état d'oser tout, non plus que de tout craindre.
Si l'on court au grand crime avec avidité,
Laissez-en ralentir l'impétuosité :
D'elle-même elle avorte, et la peur des supplices
Arme contre le chef ses plus zélés complices.
Un salutaire avis agit avec lenteur.

Lacus
Un véritable prince agit avec hauteur :
Et je ne conçois point cet avis salutaire,
Quand on couronne Othon, de le regarder faire.
Si l'on court au grand crime avec avidité,
Il en faut réprimer l'impétuosité
Avant que les esprits, qu'un juste effroi balance,
S'y puissent enhardir sur notre nonchalance,
Et prennent le dessus de ces conseils prudents,
Dont on cherche l'effet quand il n'en est plus temps.

Vinius
Vous détruirez toujours mes conseils par les vôtres :
Le seul ton de ma voix vous en inspire d'autres ;
Et tant que vous aurez ce rare et haut crédit,
Je n'aurai qu'à parler pour être contredit.
Pison, dont l'heureux choix est votre digne ouvrage,
Ne seroit que Pison s'il eût eu mon suffrage.
Vous n'avez soulevé Martian contre Othon
Que parce que ma bouche a proféré son nom ;
Et verriez comme un autre une preuve assez claire
De combien votre avis est le plus salutaire,
Si vous n'aviez fait vœu d'être jusqu'au trépas
L'ennemi des conseils que vous ne donnez pas.

Lacus
Et vous l'ami d'Othon, c'est tout dire ; et peut-être
Qui le vouloit pour gendre et l'a choisi pour maître,
Ne fait encor de vœux qu'en faveur de ce choix,
Pour l'avoir et pour maître et pour gendre à la fois.

Vinius
J'étois l'ami d'Othon, et le tenois à gloire
Jusqu'à l'indignité d'une action si noire,
Que d'autres nommeront l'effet du désespoir
Où l'a, malgré mes soins, plongé votre pouvoir.
Je l'ai voulu pour gendre, et choisi pour l'empire ;
À l'un ni l'autre choix vous n'avez pu souscrire.
Par là de tout l'état le bonheur s'agrandit ;
Et vous voyez aussi comme il vous applaudit.

Galba
Qu'un prince est malheureux quand de ceux qu'il écoute
Le zèle cherche à prendre une diverse route,
Et que l'attachement qu'ils ont au propre sens
Pousse jusqu'à l'aigreur des conseils différents !
Ne me trompé-je point ? et puis-je nommer zèle
Cette haine à tous deux obstinément fidèle,
Qui peut-être, en dépit des maux qu'elle prévoit,
Seule en mes intérêts se consulte et se croit ?
Faites mieux ; et croyez, en ce péril extrême,
Vous, que Lacus me sert, vous, que Vinius m'aime :
Ne haïssez qu'Othon, et songez qu'aujourd'hui
Vous n'avez à parler tous deux que contre lui.

Vinius
J'ose donc vous redire, en serviteur sincère,
Qu'il fait mauvais pousser tant de gens en colère,
Qu'il faut donner aux bons, pour s'entre-soutenir,
Le temps de se remettre et de se réunir,
Et laisser aux méchants celui de reconnoître
Quelle est l'impiété de se prendre à son maître.
Pison peut cependant amuser leur fureur,
De vos ressentiments leur donner la terreur,
Y joindre avec adresse un espoir de clémence
Au moindre repentir d'une telle insolence ;
Et s'il vous faut enfin aller à son secours,
Ce qu'on veut à présent on le pourra toujours.

Lacus
J'en doute, et crois parler en serviteur sincère,
Moi qui n'ai point d'amis dans le parti contraire.
Attendrons-nous, seigneur, que Pison repoussé
Nous vienne ensevelir sous l'État renversé,
Qu'on descende en la place en bataille rangée,
Qu'on tienne en ce palais votre cour assiégée,
Que jusqu'au Capitole Othon aille à vos yeux
De l'empire usurpé rendre grâces aux Dieux,
Et que le front paré de votre diadème,
Ce traître trop heureux ordonne de vous-même ?
Allons, allons, Seigneur, les armes à la main,
Soutenir le sénat et le peuple romain ;
Cherchons aux yeux d'Othon un trépas à leur tête,
Pour lui plus odieux, et pour nous plus honnête ;
Et par un noble effort allons lui témoigner…

Galba
Eh bien ! ma nièce, eh bien ! est-il doux de régner ?
Est-il doux de tenir le timon d'un empire,
Pour en voir les soutiens toujours se contredire ?

Camille
Plus on voit aux avis de contrariétés,
Plus à faire un bon choix on reçoit de clartés.
C'est ce que je dirois si je n'étois suspecte ;
Mais je suis à Pison, seigneur, et vous respecte,
Et ne puis toutefois retenir ces deux mots,
Que si l'on m'avait crue on seroit en repos.
Plautine qu'on amène aura même pensée :
D'une vive douleur elle paroît blessée…

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