ACTE II - Scène 15


Un garçon avec un plat puis Truffaldino, puis Florindo, puis Beatrice, puis d'autres garçons de l'auberge.

Truffaldino
Qu'est-ce que vous me donnez là mon brave ?

Garçon 1
Voici le bouilli. Je vais chercher le deuxième plat.

Truffaldino
C'est du mouton ou du veau ? On dirait du mouton. Goûtons un peu pour voir. (Il en goûte un morceau)
Ce n'est pas du mouton, ce n'est pas du veau, c'est du cochon et c'est drôlement bon. (Il s'apprête à l'apporter dans la chambre de Beatrice)

Florindo (se heurtant à Truffaldino)
Où vas-tu ?

Truffaldino (Aux spectateurs)
Oh pauvre de moi !

Florindo
Où vas-tu avec ce plat ?

Truffaldino
J'allais le servir, votre seigneurie.

Florindo
A qui ?

Truffaldino
A vous mademoiselle.

Florindo
Pourquoi le sers-tu à table avant que je n'arrive ?

Truffaldino
Je vous ai vu arriver par la fenêtre. (Aux Spectateurs)
Ha ha, ça c'est bien trouvé !

Florindo
Et tu commences par servir le bouilli au lieu de commencer par la soupe ?

Truffaldino
Ici à Venise, la soupe se mange au dessert.

Florindo
Je n'aime pas ces coutumes-là. Je veux la soupe en premier. Rapporte ce plat en cuisine.

Truffaldino
A votre service ma Seigneurie.

Florindo
Et dépêche-toi un peu, je veux me reposer ensuite.

Truffaldino
Tout de suite. (il fait semblant de repartir en cuisine)

Florindo (Aux spectateurs)
Ne retrouverais-je donc jamais Beatrice ? (il entre dans sa chambre)
(Truffaldino se dépêche alors de revenir sur ses pas pour apporter le plat à Beatrice.)

Garçon 1 (apportant un nouveau plat)
Truffaldino !

Truffaldino (sortant de la chambre de Beatrice)
Je suis là. Vite, allez dresser la table dans cette autre chambre ! L'autre Seigneurie est revenue. Apporte- lui la soupe immédiatement.

Garçon 1
Tout de suite. (Il sort.)

Truffaldino
Qu'est-ce que c'est que ce plat ? C'est sûrement ça le frichticandeau. (il goûte le plat)
Mmmmm… C'est drôlement bon, foi d'honnête homme.
(Plusieurs garçons passent pour dresser la table dans la chambre de Florindo.)

Truffaldino (Aux garçons)
Braves garçons ! Beau travail ! (Aux spectateurs)
Si je parviens à servir mes deux seigneuries à la fois, j'aurais accompli un bel exploit.
(Les garçons sortent de la chambre de Florindo et retournent en cuisine.)

Truffaldino
Allons, vite, mes enfants ! La soupe !

Brighella
Occupez-vous d'une Seigneurie et nous nous occuperons de l'autre. (Il s'en va.)

Truffaldino
Je veux m'occuper de l'une et de l'autre.
(Le garçon 1 revient avec la soupe pour Florindo.)

Truffaldino
Donne-moi cette soupe, je vais l'apporter. Pendant ce temps, débarrasse la table de l'autre.
(Il prend la soupe des mains du garçon et va l'apporter dans la chambre de Florindo.)

Garçon 1 (Aux spectateurs)
Il est étrange celui-là. Il veut servir par ici et par là-bas. Moi, je veux bien le laisser faire mais pas question de renoncer à mon pourboire.
(Truffaldino revient de la chambre de Florindo.)

Beatrice (depuis sa chambre)
Truffaldino !

Truffaldino
Je suis là ! (Il entre dans la chambre de Beatrice)
(Des garçons apportent le bouilli pour Florindo.)

Truffaldino
Donne-moi ça. (Il le prend. Le garçon sort)
(Truffaldino ressort de la chambre de Beatrice avec les assiettes sales.)

Florindo (depuis sa chambre)
Truffaldino !

Truffaldino
Donne-moi ça. (Il essaye de prendre le bouilli des mains du garçon)

Garçon 1
Celui-ci, c'est moi qui l'apporte.

Truffaldino
Tu n'entends pas que c'est moi qu'il appelle ? (Il lui prend le bouilli des mains et va l'apporter à Florindo)

Garçon 1 (Aux spectateurs)
ça, c'est trop fort. Il veut tout faire.
(Les garçons apportent un plat de croquettes de riz, ils le donnent au garçon 1 et ressortent.)

Garçon 1 (Aux spectateurs)
Je voudrais bien l'apporter ce plat mais je ne veux pas d'histoires avec cet énergumène.
(Truffaldino ressort de la chambre de Florindo avec des assiettes sales.)

Truffaldino
Des croquettes ? (Il prend le plat)

Garçon 1
Oui, ce sont les croquettes que votre seigneurie a commandées.

Truffaldino (Aux spectateurs)
Ah me voilà dans de beaux draps ! A qui diable dois-je apporter ces croquettes ? Quelle est la seigneurie qui les a commandées ? Si je vais demander en cuisine, ils risquent de soupçonner quelque chose. ; si je me trompe et que je ne les apporte pas à la bonne, l'autre va me les réclamer et on découvrira le pot aux roses…. Ha ha, je vais les diviser en deux, je vais apporter une moitié à l'une et une moitié à l'autre, comme ça, la Seigneurie qui les a commandées pourra en manger et la seigneurie qui ne les a pas commandées sera contente d'en manger. (Il prend une assiette sale qui n'a pas encore été débarrassée et met la moitié des croquettes dedans)
Quatre pour l'une et quatre pour l'autre. Mais il y en a une en plus. A qui vais-je la donner ? Pour que personne ne soit lésé, c'est moi qui vais la manger. (Il avale la croquette)
Voilà qui est bon. Apportons ces croquettes-ci à cette Seigneurie-là. (Il met à terre une assiette avec des croquettes et apporte l'autre à Beatrice)

Brighella (avec le boudingue à l'anglaise)
MonsieurTruffaldino !

Truffaldino (sortant de la chambre de Beatrice)
Je suis là.

Brighella
Le boudingue.

Truffaldino
je reviens. (Il prend l'assiette de croquettes à terre et s'apprête à les apporter à Florindo)

Brighella
Vous vous trompez. Les croquettes sont pour là-bas (désignant la chambre de Beatrice)

Truffaldino
Je le sais bien ; je les ai apportées là-bas mais mon maître a demandé à ce que je les offre à cette autre Seigneurie. (Truffaldino entre dans la chambre de Florindo)

Brighella (Aux spectateurs)
Si ces gens-là se connaissent et sont amis. Ils auraient pu déjeuner ensemble.

Truffaldino (revenant de la chambre de Florindo, au garçon)
C'est quoi déjà ce machin-là ?

Garçon 1
Un boudingue.

Truffaldino
C'est pour qui ?

Garçon 1
Pour votre seigneurie. (Il s'en va)

Truffaldino
Qu'est-ce que c'est que ce boudingue ? L'odeur est merveilleuse. On dirait de la polenta… (il sort la fourchette de sa poche et goûte)
Ce n'est pas de la polenta mais ça y ressemble. C'est meilleur que de la polenta.

Beatrice (depuis sa chambre)
Truffaldino !

Truffaldino (la bouche pleine)
Je viens !

Florindo (depuis sa chambre)
Truffaldino !

Truffaldino (Toujours la bouche pleine)
Je viens ! (Pour lui)
Oh la la, c'que c'est bon le boudingue ! Encore une autre bouchée et j'y vais.

Beatrice (sortant de sa chambre et apercevant Truffaldino en train de manger, lui donne un coup de pied)
Truffaldino ! Viens nous servir ! (Elle retourne dans sa chambre)
(Truffaldino pose le boudingue à terre et entre dans la chambre de Beatrice.)

Florindo (Sortant de sa chambre)
Truffaldino ! Où diable est-il allé se fourrer ?

Truffaldino (sortant de la chambre de Beatrice)
Je suis là.

Florindo
Où étais-tu ? Qu'est-ce que tu fabriquais ?

Truffaldino
J'étais parti rapporter des assiettes, mademoiselle.

Florindo
Il y a quelque chose d'autre à manger ?

Truffaldino
Je vais voir.

Florindo
Dépêche-toi. J'ai besoin de me reposer. (Il retourne dans sa chambre)

Truffaldino
Tout de suite. (Appelant)
Garçons ? Il y a quelque chose d'autre à servir ? (Pour lui)
Ce boudingue me rend fou, je me le garde. (Il le cache)

Garçon 1 (apportant un plat avec le rôti)
Voici le rôti.

Truffaldino (prenant le rôti)
Vite ! Les fruits !

Garçon 1
Tout de suite ! (Il s'en va)

Truffaldino
Le rôti, je vais l'apporter à celle-ci. (Il entre dans la chambre de Florindo)

Brighella (apportant une corbeille de fruits)
Voici les fruits. Mais où êtes-vous ?

Truffaldino (sortant de la chambre de Florindo)
Je suis là.

Brighella
Tenez. (Il lui donne la corbeille)

Truffaldino
Attendez. (Il apporte la corbeille à Beatrice)

Brighella
Vous ne désirez pas autre chose ?

Truffaldino
Nous n'avons besoin de rien. Tout le monde a fini. Vous pouvez dresser la table pour moi à présent.

Brighella
Tout de suite Monsieur. (Il sort)

Truffaldino (Aux spectateurs)
Victoire ! J'y suis arrivé ! Tout le monde est content. Personne ne se doute de quoi que ce soit. Comme j'ai réussi à servir deux Seigneuries en même temps, je vais pouvoir à présent manger pour quatre. (Il s'en va)


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