ACTE III - Scène I


Domitian
Je vous l'ai dit, madame, et j'aime à le redire,
Qu'il est beau qu'à vous plaire un empereur aspire,
Qu'il lui doit être doux qu'un véritable feu
Par de justes soupirs mérite votre aveu.
Serait-ce un crime à moins ? Serait-ce vous déplaire,
Après un empereur, de vous offrir son frère ?
Et voudriez-vous croire, en faveur de ma foi,
Qu'un frère d'empereur pourrait valoir un roi ?

Bérénice
Si votre âme, seigneur, en veut être éclaircie,
Vous pouvez le savoir de votre Domitie.
De tous les deux aimée, et douce à tous les deux,
Elle sait mieux que moi comme on change de vœux,
Et sait peut-être mal la route qu'il faut prendre
Pour trouver le secret de les faire descendre,
Quelque facilité qu'elle ait eue à trouver,
Malgré sa flamme et vous, l'art de les élever.
Pour moi, qui n'eus jamais l'honneur d'être romaine,
Et qu'un destin jaloux n'a fait naître que reine,
Sans qu'un de vous descende au rang que je remplis,
Ce me doit être assez d'un de vos affranchis ;
Et si votre empereur suit les traces des autres,
Il suffit d'un tel sort pour relever les nôtres.
Mais changeons de discours, et me dites, seigneur,
Par quel ordre aujourd'hui vous m'offrez votre cœur.
Est-ce pour obliger ou Domitie ou Tite ?
N'ose-t-il me quitter à moins que je le quitte ?
Et peut-il à son rang si peu se confier,
Qu'il veuille mon exemple à se justifier ?
Me donne-t-il à vous alors qu'il m'abandonne ?

Domitian
Il vous respecte trop : c'est à vous qu'il me donne,
Et me fait la justice, en m'enlevant mon bien,
De vouloir que je tâche à m'enrichir du sien ;
Mais à peine il le veut, qu'il craint pour moi la haine
Que Rome concevrait pour l'époux d'une reine.
C'est à vous de juger d'où part ce sentiment.
En vain, par politique, il fait ailleurs l'amant ;
Il s'y réduit en vain par grandeur de courage :
À ces fausses clartés opposez quelque ombrage ;
Et je renonce au jour, s'il ne revient à vous,
Pour peu que vous penchiez à le rendre jaloux.

Bérénice
Peut-être ; mais, seigneur, croyez-vous Bérénice
D'un cœur à s'abaisser jusqu'à cet artifice,
Jusques à mendier lâchement le retour
De ce qu'un grand service a mérité d'amour ?

Domitian
Madame, sur ce point je n'ai rien à vous dire.
Vous savez ce que vaut l'empereur et l'empire ;
Et si vous consentez qu'on vous manque de foi,
Vous pouvez regarder si je vaux bien un roi.
J'aperçois Domitie, et lui cède la place.

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