ACTE II - Scène VII
Domitie
Se taire et me quitter ! Après cette retraite,
Crois-tu qu'un tel arrêt ait besoin d'interprète ?
Plautine
Oui, madame ; et ce n'est que dérober au jour ;
Que vous cacher le trouble où le met ce retour.
Domitie
Non, non, tu l'as voulu, Plautine, que je vinsse
Désavouer ici les vanités du prince,
Empêcher qu'un amant dont je n'ai pas le cœur
Ne cédât ma conquête à mon premier vainqueur :
Vois la honte qu'ainsi je me suis attirée.
Quand sa reine a paru, m'a-t-il considérée ?
A-t-il jeté les yeux sur moi qu'en me quittant ?
Plautine
Pensez-vous que sa reine ait l'esprit plus content ?
Avant que vous quitter, lui-même il l'a bannie.
Domitie
Oui, mais avec respect, avec cérémonie,
Avec des yeux enfin qui l'éloignant des miens,
Lui promettaient assez de plus doux entretiens.
Tu me diras encor que la chose est égale,
Que s'il m'ose quitter, il chasse ma rivale.
Mais pour peu qu'il m'aimât, du moins il m'aurait dit
Que je garde en son âme encor même crédit :
Il m'en aurait donné des sûretés nouvelles,
Il m'en aurait laissé quelques marques fidèles.
S'il me voulait cacher le trouble où je le voi,
La plus mauvaise excuse était bonne pour moi.
Mais pour toute réponse, il se tait, et me quitte ;
Et tu ne peux souffrir que mon cœur s'en irrite !
Tu veux, lorsque lui-même ose se déclarer,
Que je me flatte encore assez pour espérer !
C'est avec le perfide être d'intelligence.
Sans me flatter en vain, courons à la vengeance ;
Faisons voir ce qu'en moi peut le sang de Néron,
Et que je suis de plus fille de Corbulon.
Plautine
Vous l'êtes ; mais enfin c'est n'être qu'une fille,
Que le reste impuissant d'une illustre famille.
Contre un tel empereur où prendrez-vous des bras ?
Domitie
Contre un tel empereur nous n'en manquerons pas.
S'il épouse sa reine, il est l'horreur de Rome.
Trouvons alors, trouvons un grand cœur, un grand homme,
Un Romain qui réponde au sang de mes aïeux ;
Et pour le révolter, laisse faire à mes yeux.
Juge, par le pouvoir de ceux de Bérénice,
Si les miens auront peine à s'en faire justice.
Si ceux-là forcent Tite à me manquer de foi,
Ceux-ci feront briser le joug d'un nouveau roi ;
Et si de l'univers les siens charment le maître,
Les miens charmeront ceux qui méritent de l'être.
Dis-le-moi, tu l'as vue, ai-je peu de raison
Quand de mes yeux aux siens je fais comparaison ?
Est-elle plus charmante, ai-je poins de mérite ?
Suis-je moins digne qu'elle enfin du cœur de Tite ?
Plautine
Madame…
Domitie
Je m'emporte, et mes sens interdits
Impriment leur désordre en tout ce que je dis.
Comment saurais-je aussi ce que je te dois dire,
Si je ne sais pas même à quoi mon âme aspire ?
Mon aveugle fureur s'égare à tous propos.
Allons penser à tout avec plus de repos.
Plautine
Vous pourriez hasarder un moment de visite,
Pour voir si ce retour est sans l'aveu de Tite,
Ou si c'est de concert qu'il a fait le surpris.
Domitie
Oui ; mais auparavant remettons nos esprits.