ACTE III - Scène II
Domitie
Je vais me retirer, seigneur, si je vous chasse ;
Et j'ai des intérêts que vous servez trop bien
Pour arrêter le cours d'un si long entretien.
Domitian
Je faisais à la reine une offre de service
Qui peut vous assurer le rang d'impératrice,
Madame ; et si j'en suis accepté pour époux,
Tite n'aura plus d'yeux pour d'autres que pour vous.
Est-ce vous mal servir ?
Domitie
Quoi ? Madame, il vous aime ?
Bérénice
Non ; mais il me le dit, madame.
Domitie
Lui ?
Bérénice
Lui-même.
Est-ce vous offenser que m'offrir vos refus ?
Et vous doit-il un cœur dont vous ne voulez plus ?
Domitie
Je ne sais si je puis vous dire s'il m'offense,
Quand vous vous préparez à prendre sa défense.
Bérénice
Et moi, je ne sais pas s'il a droit de changer,
Mais je sais que l'amour ne peut désobliger.
Domitie
Du moins ce nouveau feu rend justice au mérite.
Domitian
Vous m'avez commandé de quitter qui me quitte,
Vous le savez, madame ; et si c'est vous trahir,
Vous m'avouerez aussi que c'est vous obéir.
Domitie
S'il échappe à l'amour un mot qui le trahisse,
À l'effort qu'il se fait veut-il qu'on obéisse ?
Il cherche une révolte, et s'en laisse charmer.
Vous le sauriez, ingrat, si vous saviez aimer,
Et ne vous feriez pas l'indigne violence
De vous offrir ailleurs, et même en ma présence.
Domitian
Madame, vous voyez ce que je vous ai dit :
La preuve est convaincante, et l'exemple suffit.
Bérénice
Il suffit pour vous croire, et non pas pour le suivre.
Domitie
Allez, sous quelques lois qu'il vous plaise de vivre,
Vivez-y, j'y consens ; mais vous pouviez, seigneur,
Vous hâter un peu moins de m'ôter votre cœur,
Attendre que l'honneur de ce grand hyménée
Vous renvoyât la foi que vous m'avez donnée.
Si vous vouliez passer pour véritable amant,
Il fallait espérer jusqu'au dernier moment ;
Il vous fallait…
Domitian
Eh bien ! Puisqu'il faut que j'espère,
Madame, faites grâce à l'empereur mon frère,
À la reine, à vous-même enfin, si vous m'aimez
Autant qu'il le paraît à vos yeux alarmés.
Les scrupules d'état, qu'il fallait mieux combattre,
Assez et trop longtemps nous ont gênés tous quatre :
Réunissez des cœurs de qui rompt l'union
Cette chimère en Tite, en vous l'ambition.
Vous trouverez au mien encor les mêmes flammes
Qui, dès que je vous vis, charmèrent nos deux âmes.
Dès ce premier moment j'adorai vos appas ;
Dès ce premier moment je ne vous déplus pas.
Ai-je épargné depuis aucuns soins pour vous plaire ?
Est-ce un crime pour moi que l'aînesse d'un frère ?
Et faut-il m'accabler d'un éternel ennui
Pour avoir vu le jour deux lustres après lui,
Comme si de mon choix il dépendait de naître
Dans le temps qu'il fallait pour devenir son maître ?
Au nom de votre amour et de ce digne amant,
Madame, qui vous aime encor si chèrement,
Prenez quelque pitié d'un amant déplorable ;
Faites-la partager à cette inexorable ;
Dissipez la fierté d'une injuste rigueur.
Pour juge entre elle et moi je ne veux que son cœur.
Je vous laisse avec elle arbitre de ma vie.
Adieu, madame. Adieu, trop aimable ennemie.